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Assurément l’Autriche, quand elle vint occuper l’Italie du nord en vertu des traités de 1815, n’était plus le vieux saint-empire retrouvant après une longue prescription son prestige au-delà des Alpes. Alors l’empire d’Allemagne avait depuis dix ans cessé d’exister, et personne ne songeait à le rétablir. Historiquement néanmoins, la question italienne se rattache au passé par des liens plus étroits qu’on ne le pense, et il nous paraît difficile de nier que les souvenirs de ce passé aient été sans influence sur la détermination des puissances qui remanièrent à Vienne la carte de l’Europe. L’Italie fut donnée à l’Autriche surtout parce que cette combinaison rentrait dans le nouveau système d’équilibre européen qui prévalait à cette époque, cela est incontestable; mais l’Italie lui fut aussi livrée parce que l’Autriche avait déjà possédé le Milanais à titre de fief impérial, et que, par l’effet d’une habitude invétérée, elle était considérée comme l’héritière naturelle de l’empire germanique. C’est en vertu du droit impérial que Wenceslas avait conféré aux Visconti, Maximilien Ier aux Sforze l’investiture du Milanais; c’est en vertu du même droit que Charles-Quint, à la mort de François-Marie Sforza, s’était emparé du Milanais comme d’un fief dévolu à l’empire, et qu’il en avait investi son fils Philippe II. Ce fut encore en invoquant ce droit impérial qu’après l’extinction de la branche espagnole de la maison d’Autriche, Joseph Ier en 1706, puis Charles VI par le traité de Bade, rentrèrent en possession de la Lombardie et la réunirent au domaine de l’empire. Faut-il donc s’étonner que les traités de 1815, malgré les réclamations du Piémont, aient de nouveau consacré une tradition qui avait dans le passé de si profondes racines?

Pour examiner avec calme et impartialité cette théorie du droit impérial en Italie, considéré dans son origine, dans sa nature, dans son influence sur les destinées de la péninsule entière, il faut s’isoler autant que possible de la polémique quotidienne; il faut écarter du débat tout ce qui a un caractère partiel et transitoire et ne s’attacher qu’à ces faits généraux et continus qui ont traversé les siècles et légué à l’Italie un si lourd héritage. Une étude rétrospective sur un tel sujet n’est donc pas sans opportunité même aujourd’hui; c’est ce que rend évident surtout le nouvel ouvrage, revu et remanié avec une si louable persévérance, où M. de Cherrier expose la lutte de l’empire et de la papauté. Cette lutte inféconde, qui a causé tous les maux politiques de l’Italie, abonde en enseignemens douloureux que l’auteur sait mettre en relief avec indépendance et fermeté. On n’assiste point ici aux investigations d’un archéologue érudit interrogeant des ruines pour ranimer la poussière d’une société disparue; on rencontre un penseur, un historien qui, en présence d’un peuple toujours vivant et debout, cherche à résoudre le problème de ses agi-