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leurs semblables les désirs et les sympathies qui leur ont suggéré à eux-mêmes leur espérance.

Quoi qu’il doive en être de l’avenir, il y a quelque chose qui plaît souverainement : c’est de voir qu’un vieillard, un diplomate longtemps en contact avec le monde, ait conservé tant de confiance dans la nature humaine. Nous n’avons pas manqué d’hommes qui n’ont rien redouté de la liberté poussée jusqu’à la suppression de tout gouvernement, de toute loi imposée; mais s’ils avaient tant d’assurance, c’est qu’ils ne craignaient pas que les individus fussent gouvernés par leurs intérêts et leurs appétits, c’est qu’ils ne voyaient là ni mal ni danger, ni dégradation ni menace de désordre. Cette confiance-là n’est pas celle dont je parle; je parle de celle qui consiste à croire en l’excellence de la nature humaine, à croire qu’au fond le mal n’y est qu’un accident, que l’amour du bien et le dévouement y prédominent sur l’égoïsme et la vanité, et qu’abandonnée à ses instincts, elle revient toujours à écouter sa sagesse et sa conscience plutôt que son bon plaisir, plutôt que ces mêmes intérêts et ces mêmes penchans par lesquels les autres optimistes ne trouvent nullement à craindre qu’elle se laisse diriger. Comment se fait-il que cette espèce de foi ne se rencontre guère que chez les hommes de race germanique? A quoi tient-il que les extravagances de l’Angleterre et de l’Allemagne aient été des excès d’espoir et d’enthousiasme, tandis que les nôtres ont été des excès de doute et de défiance? D’où vient que nos voix françaises n’expriment que des découragemens, des projets inventés pour mettre le bien-être de chacun à l’abri de la malice des voisins et des pouvoirs, tandis que dans les voix allemandes on entend comme des âmes pleines d’avidités, d’ardeurs et de prédilections, qui veulent, en dépit de leur science, rêver leur idéal suprême et en faire leur croyance?

Pour M. Bunsen en particulier, il est bien certain que chez lui cette disposition à la confiance, à l’illusion si l’on veut, ne peut pas être attribuée à un défaut d’expérience ou de jugement. Ce qu’il dit du christianisme, on pourrait le répéter de sa propre théorie : elle est née précisément d’un sentiment profond de ce qui manque aux hommes de l’époque, du sentiment de leurs égaremens et de leurs misères. Il voit clairement le mal, il ne flatte pas le portrait de l’humanité; seulement tout ce qu’il a observé, tout ce qu’il sait ne l’empêche pas de se faire la plus haute idée de l’homme tel qu’il peut être et sera un jour. Sans doute cela tient à ce que l’expérience et les connaissances de son jugement ne sont point ce qui contribue le plus à déterminer ses idées sur l’avenir et sur le possible, et sans doute aussi cela indique un caractère où la conscience et les affections jouent le premier rôle, une espèce d’organisation qui, quelle