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la posséder tout entière, et l’heure lui semble venue où les peuples sont comme sommés d’obéir à cette invincible volonté en christianisant enfin leurs institutions, leurs législations, leurs caractères nationaux. Au sein de nos sociétés européennes, la désorganisation, longtemps masquée comme une gangrène intérieure, a éclaté de toutes parts, et pour qui veut ouvrir les yeux, elle a écrit en gros caractères la condamnation de notre philosophie politique : elle a démontré que nous avions tenté l’impossible en cherchant à édifier nos constitutions sur l’intérêt général bien interprété par l’expérience, et qu’il est aussi insensé d’espérer unir les hommes par l’égoïsme collectif que par l’égoïsme personnel. Les nations sont libres aussi bien que les individus ; mais les desseins de Dieu veulent passer, et ils passeront sans porter atteinte à la liberté : ils passeront par cela seul que les germes de mort finiront par porter leurs fruits de mort, et que les sociétés qui s’obstineront à s’organiser au moyen du principe de toute désorganisation seront tuées par leur propre aveuglement.

Pour porter la question sur un terrain plus familier, M. Bunsen s’inscrit en faux contre la sagesse de notre temps, qui s’imagine avoir réglé les rapports de la religion et de la société civile en proclamant la séparation de l’église et de l’état, c’est-à-dire en posant face à face un état sans religion et une religion sans influence sur la marche de la société. Il ne veut pas que le pouvoir ecclésiastique commande au magistrat, ni que le pouvoir politique régente les consciences ; mais, pour empêcher à la fois ces deux tyrannies, le moyen auquel il s’arrête est d’anéantir l’autorité sacerdotale, de restituer d’abord à la communauté chrétienne la liberté qui lui a été enlevée, et d’étendre ensuite la même liberté à la communauté civile. Que les fidèles réunis en congrégation redeviennent les seuls arbitres de leur propre croyances, que les mêmes hommes qui en qualité de citoyens nomment leurs députés élisent aussi en qualité de chrétiens leurs évêques et leurs ministres, que la règle, en matière ecclésiastique Comme en matière politique, procède librement de ceux qui doivent s’y soumettre : de cette façon, l’antagonisme de l’église et de l’état cesse d’exister. Il n’y a plus qu’une seule et même nation qui siège tour à tour en synodes et en parlemens, qui s’administre ecclésiastiquement et civilement sous l’inspiration des mêmes sentimens et des mêmes convictions, qui des deux côtés poursuit le même but en se donnant pour lois les obligations qu’elle veut s’imposer pour obéir à sa conscience. De la sorte, le parlement n’est qu’un organe par lequel la nation religieuse applique incessamment sa foi, et la porte est ouverte pour que le règne de Dieu arrive dans la vie commune et publique des peuples aussi bien que dans les âmes individuelles. Sur ce point,