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des chrétiens et par la totalité des hommes. Ce que M. Bunsen veut affirmer par là et ce qu’il énonce très catégoriquement, c’est que le régime démocratique est seul de droit divin dans la communauté chrétienne; c’est que le don de connaître la vérité n’a point été réservé à un homme spécial, ni à aucune caste sacerdotale distincte des croyans ordinaires; c’est que la totalité des fidèles laïques est l’organe de l’Esprit saint, et que l’union de Dieu et de l’homme, que l’unité de la raison humaine et de la raison infinie ne se manifeste et ne se réalise que dans la conscience collective et unanime des chrétiens. En somme, on se tromperait du tout au tout en jugeant sur l’apparence que M. Bunsen est purement un penseur perdu dans les abstractions. Il a une intention très arrêtée, qui sait parfaitement ce qu’elle veut, et qui veut s’appliquer dans la vie quotidienne comme dans les moindres détails du culte, dans les institutions civiles comme dans la constitution de l’église. Seulement l’homme positif chez lui est doublé d’un métaphysicien allemand, et il nous en donne des preuves très curieuses. Convaincu par exemple que le véritable sens du christianisme s’est surtout obscurci par suite des fausses interprétations auxquelles les formules sémitiques de l’Écriture ont donné lieu, il a entrepris de traduire ces métaphores et ces sentimens d’une autre race dans la langue abstraite et logique des fils de Japhet. Traduire ici n’est point employé au figuré; il s’agit à la lettre de tableaux synoptiques où l’auteur a transcrit sur une colonne les passages de l’Évangile qui ont trait à la Trinité et aux desseins de Dieu sur l’humanité, tandis que dans une autre colonne il en présente l’équivalent philosophique. Et ce n’est pas tout: il a courageusement rédigé encore une sorte de glossaire dans lequel les principaux termes de l’Ancien et du Nouveau-Testament sont expliqués par les idées qui leur correspondent dans la pensée moderne. Nous connaissons déjà le sens japhétique des mots Père et Fils ; Satan ou le démon a pour synonyme l’égoïsme, le principe personnel et terrestre; la vie éternelle, où l’on entre par le Christ, signifie le triomphe en nous du principe spirituel, dont le propre est d’être infini, éternel, au-dessus du temps et de l’espace.

Dans cette philosophie, il y a beaucoup de choses dont la théologie moderne n’accepterait pas la responsabilité. En réalité, M. Bunsen ne garde guère de la théorie protestante qu’une foi mystique, qui s’allie assez étrangement avec la croyance rationaliste que l’intelligence et la conscience naturelle sont pour nous les interprètes de la pensée divine. Supprimez le dogme du salut gratuit et de l’impuissance humaine; supprimez l’idée que l’homme, pour trouver le repos, aurait besoin d’effacer ses fautes et de se purger des vices qui les lui ont fait commettre, et que cependant il se sent incapable de se donner lui-même ce qui lui est indispensable; supprimez le par-