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des idées judaïques, il découvre dans le mouvement postérieur aux apôtres une expansion légitime, et non une décadence. Il est tout particulièrement attiré par le développement que prend alors la vie chrétienne, l’application de l’esprit nouveau aux rapports publics et privés des hommes, car, avec sa tendance pratique, cette application-là ne lui apparaît pas seulement comme une manifestation du christianisme : elle lui apparaît en outre comme une partie de son essence. Partout il s’attache à dessiner nettement et à mettre en présence les deux élémens qui ne cessent pas d’être à l’œuvre dans l’église anté-nicéenne : d’un côté les hommes de pensée et de dogme comme saint Paul, de l’autre les hommes de gouvernement et d’action comme saint Pierre; ici la Grèce aux instincts métaphysiques, là l’Occident latin avec sa pensée fixée sur la terre et sur le présent; ici le dogme qui se formule et qui devient le noyau d’une philosophie et d’une science chrétiennes en se combinant avec les connaissances et les idées du monde grec et romain, là l’existence de la congrégation avec ses règlemens pour l’admission des catéchumènes, ses assemblées de prières, ses diacres chargés d’assister les pauvres, ses veuves ayant mission de visiter les malades, ses mille moyens institués pour entretenir l’intimité fraternelle et pour faire de ses membres non pas des croyans isolés, mais des chrétiens associés par un même vœu, unis dans une même volonté et veillant sans cesse à ce que nul ne soit infidèle aux principes de la corporation. Ce dernier côté, tout social et tout pratique, occupe une telle place dans la pensée de M. Bunsen, qu’il a consacré une moitié de son étude historique à le reconstruire. Il en a cherché surtout les traces dans les constitutions ou ordonnances qui sont attribuées aux apôtres, quoiqu’en réalité elles soient seulement un recueil très interpolé et très défiguré des liturgies et des coutumes disciplinaires adoptées peu à peu dans les premières églises. M. Bunsen lui-même a dû rétablir d’abord le texte de l’antique monument, ou plutôt en retrouver les élémens originaux et authentiques au milieu des paraphrases et des falsifications sous lesquelles ils étaient enterrés. Il s’est acquitté de cette tâche avec une rare perspicacité, dont les inductions ont été confirmées depuis par la découverte d’un ancien manuscrit syriaque.

Dans l’autre moitié de son tableau, c’est-à-dire dans celle où il nous peint l’intelligence chrétienne et la série des opinions par laquelle elle se rend graduellement compte de sa foi, M. Bunsen s’arrête tout particulièrement au mouvement d’idées qui s’opère autour du prologue de saint Jean, car c’est là que se trouve la philosophie du christianisme. Depuis Ignace et Polycarpe jusqu’à saint Clément d’Alexandrie et Origène, il suit pas à pas les modifications du dogme de la Trinité, en citant les passages qui font le mieux ressortir com-