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lèvres, à épancher naïvement, chacun dans sa langue maternelle, ce qui se disait en lui malgré lui-même. A partir de ce moment, l’humanité a été émancipée des religions externes et nationales qui n’étaient que l’accomplissement de certains rites fixés par un code immuable et la répétition de certains mots consacrés dans un idiome sacramentel. C’était bien l’Esprit qui venait de s’emparer de la terre pour y verser une vie nouvelle et pour donner aux âmes le don de communiquer entre elles malgré la diversité des idiomes; c’était bien lui qui venait de révéler la foi et la religion de la conscience : la foi, qui consiste à croire que nous sommes des temples où un oracle céleste se fait entendre dans le silence de nos instincts égoïstes; le culte, qui consiste à obéir à la libre loi de ce divin principe, à traduire librement dans nos paroles et nos actes ce qu’il suggère à chacun de nous et ce qui est sûr d’être compris de tous, puisque c’est la voix même de l’Esprit qui a été promis à tous, et qui se manifeste précisément par l’unanimité de tous.

Cependant, si M. Bunsen se rapproche ainsi de M. de Pressensé, et en général de la théologie moderne, par sa foi à l’inspiration, on s’aperçoit vite qu’il est bien plus rationaliste, qu’il grandit bien davantage les facultés naturelles de l’homme et le rôle de sa volonté. Le désaccord ne s’arrête pas là : M. Bunsen a encore une tendance pratique qui l’entraîne presque en dehors des principes fondamentaux de la réforme. Il attache aux actes une importance si capitale, que la masse des protestans l’accuseraient de revenir à l’idée des mérites et d’attribuer à l’homme le pouvoir de se justifier lui-même par ses œuvres. Comme historien, il n’en faut pas davantage pour que ses jugemens ne s’accordent point avec ceux de M. de Pressensé. Comparativement, l’écrivain français a peu de respect pour l’église du IIe et du IIIe siècle. A ses yeux, la dégénération commence dès le lendemain de l’âge apostolique. L’ascétisme des gnostiques le frappe surtout comme un retour au dualisme païen, à la vieille doctrine asiatique qui plaçait la cause du mal dans la matière, et n’avait à recommander que l’anéantissement. Le parti orthodoxe d’un autre côté lui semble sur le bord d’une autre rechute : l’idée de la loi, c’est-à-dire la tendance à considérer le christianisme comme une simple ordonnance, reparaît déjà chez les Ignace et les Polycarpe; la foi est seulement considérée comme la première des œuvres, et la religion devient de nouveau un effort pour gagner la faveur du ciel, au lieu d’être un long acte de glorification pour le salut gratuit. En un mot, c’est une renaissance marquée de l’esprit judaïque, qui, en se combinant avec le dualisme ascétique, achèvera bientôt de constituer la doctrine de Rome. Le point de vue de M. Bunsen est entièrement différent : tout en étant aussi ennemi