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sen reprit ces vues pour les exposer plus largement en même temps que pour les justifier, et il en est résulté un second travail, divisé en deux parties, l’une où il cherche d’abord à surprendre dans l’ensemble des langues l’évolution parcourue par l’esprit humain, l’autre où il formule ce qu’il nomme la philosophie du christianisme, c’est-à-dire le plan divin qui a achevé de se révéler par le Christ, et qui lui rend compte non-seulement du développement moral attesté par le langage, mais encore de la création physique et de toute la marche de l’humanité. Pour compléter enfin cette peinture et cette appréciation, M. Bunsen a réuni, sous le titre de Analecta ante-nicœna, les textes les moins connus de la littérature chrétienne des trois premiers siècles.

On n’a pas besoin de pénétrer fort avant dans le second de ces ouvrages pour s’apercevoir qu’on est en pays allemand. Il semble que la race germanique ait un privilège : nulle part ailleurs on ne rencontre des hommes qui puissent supporter un poids aussi colossal d’érudition sans que cela étouffe chez eux l’enthousiasme et la pensée créatrice, ou chez qui l’imagination et l’activité spontanée de l’esprit puissent être aussi fortes sans exclure la puissance de travail. En ce sens, M. Bunsen est souverainement allemand. Il y a chez lui l’étoffe d’un poète, d’un métaphysicien, d’un apôtre et d’un dévoreur de livres. Avec tout cela, avec les longues études qu’il a consacrées à la langue de l’Egypte et à la philologie en général, avec la tournure subjective de son intelligence, qui s’intéresse surtout à la vie morale de l’homme, il a naturellement senti que le langage et la religion étaient les grands monumens de l’histoire anté-historique, les seuls témoins qui eussent assisté à la naissance du principe pensant, et qui eussent gardé mémoire de toutes ses transformations primitives. C’est donc à la série complète des idiomes de l’Asie et de l’Europe qu’il a voulu demander les origines intellectuelles de notre race pour juger, d’après son point de départ, de la ligne qu’elle avait suivie, et en s’aidant du concours de plusieurs collaborateurs, il a composé une sorte d’avant-propos qui est, à proprement parler, un traité général de philologie comparée.

Sans vouloir m’engager avec M. Bunsen dans cette investigation linguistique, je dois pourtant citer les résultats qu’elle a fournis à l’appui de sa thèse religieuse. En définitive, ce qui ressort pour lui du témoignage de tous les idiomes, c’est que le langage n’a eu qu’un principe de formation et qu’une loi de croissance, que son unité fondamentale atteste l’unité de l’espèce humaine, que, dès le début d’ailleurs, il a été essentiellement rationnel, c’est-à-dire qu’il n’a point commencé par de simples cris de joie ou de douleur, mais bien par des mots qui exprimaient déjà un raisonnement complet,