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vers le mysticisme le plus prononcé. En général, les protestans diffèrent des catholiques par la manière dont ils insistent sur le phénomène de la conversion et par la distinction radicale qu’ils établissent entre l’Ancienne et la Nouvelle Alliance. Ils s’accordent à penser que le christianisme est beaucoup plus qu’une loi nouvelle, beaucoup plus qu’une règle de conduite et de croyance imposée aux hommes, — qu’il est essentiellement un acte de grâce qui a mis fin au régime de la loi, qui a remplacé l’obligation d’observer ce qui est enjoint par le privilège d’être régénéré, et qui offre, en même temps qu’il l’exige, une perfection plus haute que l’obéissance, celle de l’amour, qui n’a plus besoin de loi parce qu’il suggère spontanément les affections et les volontés saintes. Cependant les espérances de M. de Pressensé vont encore au-delà de la croyance commune. Malgré les réserves qu’il fait, il est clair que l’idéal qui l’attire vers le christianisme et qui en forme à ses yeux le noyau lumineux est l’idéal d’une rénovation absolue, d’un miracle intérieur qui ne rétablit pas seulement, à côté de nos penchans humains, un sentiment plus net de la volonté divine et une plus grande force pour nous y conformer, mais qui anéantit en quelque sorte nos fragilités et nos imperfections naturelles, et qui nous transforme dès cette vie en des êtres au-dessus du péché et de la terre. Je ne saurais dire ce qu’il y a pour moi de douloureusement sublime dans cette foi mystique. Traquée partout par le sentiment et la honte de ses infirmités, la pauvre humanité a souvent oscillé entre l’aveugle espérance et la science désespérée; mais c’est bien là qu’elle se montre vraiment grande, — grande par son intelligence, qui, malgré l’intensité de ses désirs, est restée capable de voir ce qui lui était impossible, grande par ses indomptables désirs, qui, malgré cet aveu d’impuissance, n’ont pas voulu renoncer à l’objet de leur ambition. Les malades et les infirmes ne se sont pas déguisé leur triste état, ni la vanité de la médecine humaine, et la vérité n’a pu les abattre. Ils avaient beau savoir qu’ils étaient contrefaits, qu’il vaudrait mieux pour eux avoir le corps d’Hercule et la beauté d’Apollon ; il ne leur était pas donné de changer de corps, et pourtant leurs exigences ont refusé de se satisfaire à moins. Pour quitter la métaphore, peu importait que l’homme connût ses faiblesses et les eût en haine, peu importait que, dans ses actes, il résistât à ses penchans : tout cela n’était rien, car les actes de vertu accomplis en dépit de nos instincts ne sont qu’une sorte de mensonge et de déguisement, un bandage qui cache aux autres nos plaies : le vice, qui est la honte véritable, ne reste pas moins en nous. L’orgueil peut chercher à nous persuader que nous avons par là plus de mérite, puisque nous avons eu à lutter; il peut se vanter des béquilles