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bien en dehors de la nature. Avec leur tête d’or, les dieux de l’humanisme ont des pieds de boue, et, ajouterai-je, ils nient d’un côté la liberté morale qu’ils affirment de l’autre, car ils ne figurent après tout que les influences extérieures par lesquelles la Grèce s’explique les mouvemens de l’âme humaine. Ce qu’ils renferment d’élevé ne doit servir qu’à développer et à entretenir des aspirations qui, un jour, seront choquées de leurs impuretés. Homère prépare Socrate et Platon, et Platon, entrevoyant une divinité plus sainte que Jupiter, vouera au mépris la religion nationale sans pouvoir d’ailleurs la remplacer par aucune autre foi, car, même chez lui, la sagesse païenne dans son plus haut essor ne peut pas dépasser le dualisme. A côté du principe spirituel, il admet toujours une matière éternelle, qui est l’élément de la contingence, de la pluralité, du changement, du mal enfin suivant lui. Ce n’est donc pas dans l’esprit de l’homme qu’il place la cause de sa souillure, et il n’en faut pas davantage pour qu’il soit logiquement entraîné à un nihilisme mitigé. Platon désespère de régénérer la volonté, il la tue, et ne recommande qu’un anéantissement au moins partiel : l’absorption de l’individu dans la cité, l’absorption de l’homme entier dans son intelligence. Aussi n’est-il pas étonnant que l’apogée de la philosophie antique soit la veille de sa décadence. Presque aussitôt après Platon commence une période de scepticisme et d’affaissement moral qui ne s’arrêtera plus. L’humanité a touché le fond de sa raison; il ne lui reste plus qu’à se démontrer chaque jour davantage qu’elle ne peut pas croire à ses dieux, que ni ses prêtres ni ses philosophes ne peuvent rien pour la guérir de la corruption dont elle se sent atteinte, et qu’elle est désormais incapable d’imaginer aucun autre moyen de salut.

L’œuvre préparatoire que la raison et la liberté ont ainsi accomplie au sein de l’humanité païenne, voilà également l’œuvre qu’elles doivent accomplir dans toute âme individuelle pour la disposer à la conversion. Leur rôle est partout le même : c’est d’arriver, en s’exerçant, à nous révéler le désaccord qui est en nous, c’est de faire leur possible pour nous en délivrer, et, par l’inutilité de leurs efforts, de se convaincre de leur propre impuissance, afin de nous amener en dernier terme à désespérer de nous, à reconnaître au moins que, sans un sauveur surnaturel, nous ne saurions obtenir la réhabilitation et la paix que réclame tout notre être. Quand notre désespoir est complet, l’heure du ciel est arrivée; comme les Athéniens, nous avons élevé en nous l’autel du Dieu inconnu, et la foi personnelle achève alors chez l’individu le plan de rédemption, comme l’avènement historique du Christ l’a achevé dans le monde.

A l’égard de cet achèvement. M. de Pressensé incline décidément