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toujours qu’une manière de nous attribuer à nous-mêmes la souveraineté; ce n’était toujours qu’une satisfaction donnée à notre amour-propre, à cet instinct de révolte qui répugne à admettre qu’il existe pour nous un impossible, qui souffre à reconnaître au dehors de nous un pouvoir sans lequel nous ne pouvons rien, et qui de tout temps s’est efforcé d’échapper à ce pénible sentiment de notre dépendance en tâchant de découvrir des secrets magiques qui soumissent à notre volonté tout ce qu’elle pouvait désirer. N’est-ce donc point là le contraire même de l’instinct religieux? Autant qu’on peut le définir, le véritable instinct religieux est, avant tout, la conscience de nos impuissances et, par là même, le sentiment incessant de l’action divine. C’est une confession de notre propre faiblesse qui est en même temps un hommage rendu à l’omnipotence de Dieu; c’est la tendance à voir que rien ne peut s’accomplir en nous et hors de nous sans l’intervention d’une force supérieure qui n’est pas à nos ordres. Faire rentrer dans le christianisme ce sentiment de la suprématie divine, voilà l’œuvre qu’avait entreprise la réforme. Qu’on examine son dogme, on n’y trouvera qu’une pensée d’adoration : tout ce que l’homme est capable de faire n’a aucune valeur pour expier ses péchés; nul ne saurait être sanctifié que par une conversion que l’Esprit saint peut seul effectuer; le salut est un don tout gratuit de la miséricorde du Père, qui n’a pardonné qu’en vertu des mérites du Christ, et la foi qui étend sur nous cette miséricorde n’est elle-même qu’un effet de la grâce. — Rien de plus conséquent que ce système : par toutes ses parties, il répète que tout vient de Dieu, que tout ce qui vient de l’homme n’est rien. Comment a-t-on pu reprocher à la réforme son rationalisme ou lui en faire un mérite? J’avoue n’y rien comprendre. Ce que je vois au contraire, c’est que la doctrine protestante était une théorie toute mystique, une théorie qui mettait partout le miracle, qui ne comptait pour le salut que sur une conversion miraculeuse, qui enseignait que nul n’était chrétien avant d’avoir reçu le Saint-Esprit, qui rend impeccable.

Et de fait c’est par ses excès de mysticisme et de spiritualisme que la réforme a provoqué les réactions qui ont menacé d’arrêter son développement. A force de craindre que les esprits ne revinssent à considérer le christianisme comme un simple code de devoir humain, à force de s’exalter à les convaincre que la religion est le rapport de l’âme avec Dieu et que le règne intérieur de l’amour de Dieu constitue seul la sainteté, le spiritualisme avait fait trop bon marché de la moralité pratique; il s’était plu à en démontrer l’insuffisance au point de donner à supposer qu’elle était inutile. D’autre part, l’élément mystique n’était pas mieux resté dans ses limites lé-