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sans sans luttent de souplesse et d’audace. Je voyais l’autre jour des soldats revenant d’Italie qui se mêlaient à la foule, et les vainqueurs mêmes de Solferino n’étaient pas toujours les plus hardis à saisir le taureau par les cornes. Ces divertissemens sont-ils plus blâmables que les courses d’Epsom ou de la Croix-de-Berny ? Les accidens y sont moins rares, et M. Mistral n’a pas été mal inspiré, lorsqu’il a décrit avec une fidélité si vive cette rude et virile gymnastique. Ces études, ces tableaux de mœurs, faisaient pressentir déjà chez M. Mistral le peintre énergique de la vie provençale. M. Roumanille toutefois gardait encore le premier rang, et l’auteur de la Belle d’Août ne faisait qu’exprimer le sentiment public, lorsque, dans la pièce intitulée Bonjour à tous, poétique ouverture de la farandole provençale, il énumérait les noms des doyens de la troupe : Pierre Bellot, Camille Reybaud, Crousillat, et s’écriait gaiement : « Mai Roumanille es lou migno ! c’est Roumanille qui est l’enfant aimé de la Muse ; il a fait un bouquet (il faut voir cela !), un bouquet de marguerites si fraîches, que toutes les filles de notre pays, sitôt qu’elles les ont vues, vite les ont attachées à leur corsage, disant : « Oh ! les jolies fleurs ! oh ! que soun poulidecto ! »

À cette farandole si bien conduite ont succédé bientôt d’intéressantes publications. Un petit poème élégiaque, les Songeuses, un poème héroï-comique en sept chants, la Cloche montée, un conte populaire, la Part de Dieu, ont prouvé que la verve de M. Roumanille était aussi variée que féconde. Les Songeuses, dont la conception est un peu faible, étincellent de détails exquis ; l’auteur des Margarideto n’a rien écrit de plus pur, rien qui soit plus élégamment travaillé ; ce serait un petit chef-d’œuvre, si l’on n’était obligé de dire : Materiam superabat opus. La Cloche montée est l’histoire très plaisante, et très poétique par momens, d’un certain sonneur de l’église Saint-Didier d’Avignon, brave homme passionné pour ses cloches et qui passe sa vie à recueillir de l’argent, sou par sou, de porte en porte, afin d’enrichir de notes nouvelles le carillon de son église. On devine ce qu’un tel cadre offrait d’occasions piquantes au peintre des mœurs avignonnaises. Cette fois M. Roumanille a lâché la bride à sa fantaisie comique ; soyez sûrs pourtant que les pensées élevées paraissent toujours à propos au milieu des plus vives bouffonneries. C’est là, je le sais bien, une peinture toute locale ; le héros du poème vit encore, et chacun peut le rencontrer dans la rue : qu’importe ? Cette joyeuse folie de M. Roumanille ne dépare pas l’aimable gravité de ses œuvres. Quant à la Part de Dieu, c’est un chant nouveau ajouté par le poète à sa riante prédication du travail ; il a retrouvé là ses meilleures notes, la gaieté au service du bon sens, la charité intelligente qui châtie en jouant le