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il y a la distance d’une cathédrale du XIIe siècle à l’humble chapelle du hameau. Ses chants ne nous transportent pas vers les hauteurs inaccessibles, comme les visions de Dante et les soupirs enflammés de saint François d’Assise ; jamais nous ne perdons la terre de vue, la terre si bonne à voir et si douce à cultiver, la terre où il y a tant de maux à guérir! L’absence de toute prétention dogmatique ou mystique est un des charmes de cette poésie ; on sent que l’auteur est sincère, et que son vers est venu franchement comme le blé dans le sillon. Aux heures mêmes où il s’élève le plus haut, où il s’aventure parmi les anges dans les cercles d’Alighieri, soyez sûr que vous serez ramené bientôt près du lit de la mère et du berceau de l’enfant. Écoutez la pièce intitulée les Crèches :


LES CRÈCHES.
I.

Parmi les chœurs de séraphins que Dieu a faits pour chanter éternellement, ivres d’amour : « Gloire! gloire au Père! » dans les joies du paradis, il y en avait un qui souvent, loin des joyeux chanteurs, s’en allait tout pensif.

Et son front blanc comme neige penchait vers la terre, pareil à celui d’une fleur qui n’a point d’eau l’été. De plus en plus il devenait rêveur. Si l’ennui, lorsqu’on est dans la gloire de Dieu, pouvait tourmenter le cœur, je dirais que ce bel ange s’ennuyait.

A quoi rêvait-il ainsi, et en cachette? Pourquoi n’était-il pas de la fête? Pourquoi, seul parmi les anges, comme s’il avait péché, inclinait-il le front?

II.

Le voilà! il vient de s’agenouiller devant Dieu. Que va-t-il dire? que va-t-il faire? Pour le voir et l’entendre, ses frères interrompent leur alléluia.

III.

Quand Jésus enfant pleurait, qu’il était tout tremblant de froid dans retable de Bethléem, c’est mon sourire qui le consolait, mon aile qui le couvrait; je le réchauffais de mon haleine.

Et depuis, ô mon Dieu! quand un enfantelet pleure, dans mon cœur pieux sa voix vient retentir. Voilà pourquoi mon cœur souffre à toute heure, Seigneur ! voilà pourquoi je suis pensif.

Sur la terre, ô mon Dieu! j’ai quelque chose à faire; permettez que j’y redescende: il y a tant de petits enfans, hélas! pauvres agneaux de lait! qui, tout transis de froid, ne font que se désoler loin des mamelles, loin des baisers de leur mère. Dans des chambres bien chaudes, je veux les abriter; je veux les coucher dans des berceaux et les bien couvrir. Je veux les dorloter, je veux en être le berceur. Je veux qu’au lieu d’une seule ils aient tous vingt mères qui les endormirent quand ils auront bien tété.