Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 23.djvu/814

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’une inspiration qui se cherche encore elle-même, M. Roumanille les rassembla en 1847 sous ce simple titre : li Margarideto.

Le signal était donné ; le patois de la Provence semblait redevenu une langue. L’écrivain avait pris soin d’élaguer les mots d’origine moderne et qui ne sont que du français défiguré; il avait recueilli avec amour les termes, les tours, les images qui rattachent le dialecte populaire du XIXe siècle au brillant idiome du XIIIe : une langue franche et vive était éclose, comme ces fleurs qui apparaissent sur un buisson d’épines. Cette langue était-elle constituée sur des bases durables? Pas encore assurément. Ce n’est pas là l’œuvre d’un seul homme, et si cet essai de restauration philologique, dans le cadre modeste où elle s’enferme, doit réussir un jour, il faudra sans doute que M. Roumanille et ses amis aient de nombreux continuateurs. Je dis seulement que le dialecte de la Provence et du Comtat, défiguré jusque-là par des mots de provenance étrangère, était ramené autant que possible à son génie primitif, que cette réforme l’avait rendu capable d’exprimer des sentimens poétiques, des idées délicates, et que, tout en satisfaisant les oreilles des modernes puristes, l’idiome de M. Roumanille, à la fois ancien et nouveau, saisissait vivement les imaginations populaires. Il restait, on peut le croire, bien des points à fixer, des éliminations à faire, des richesses perdues à remettre en honneur,

Multa renascentur quæ jam cecidere, cadentque
Quæ nunc sunt in honore vocabula...


Mais enfin la route était ouverte; de nouveaux pionniers allaient venir bientôt défricher les landes et les garrigues. La poésie de M. Roumanille, dans cette première ébauche, était, comme sa philologie, confiante et indécise tout ensemble, très hardie quelquefois, par instans un peu faible, mais soutenue toujours par l’inspiration généreuse qui lui avait mis la plume à la main. Ces marguerites étaient bien de vraies fleurs des champs, un parfum pur et salubre s’exhalait de leurs corolles. Parmi ces lieux-communs que le poète n’évitait pas toujours, il y avait une note dominante, un accent particulier, qui le marquait dès le début d’un signe reconnaissable : c’était la joie du bien unie à la joie du chant, l’allégresse naïve du cœur et de la pensée.

A peine débarrassée de ses liens, la langue de la Provence eut une occasion de faire vaillamment ses premières armes. Li Margarideto avaient paru en 1847; l’année suivante, la révolution de février mettait en feu toute la démagogie méridionale. Ce peuple, comme son climat, est extrême en tout. N’est-ce pas à Avignon que fut donné en 1791 le signal de la terreur? N’est-ce pas dans ses