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sereine, sans ombre de pédantisme, dans toutes les circonstances de sa vie. Mais c’était surtout aux sillons paternels qu’il devait confier ses meilleures semences. La petite ville où il avait donné des leçons aux enfans était située hors du Comtat, dans un pays qui ne lui rappelait guère ses contrées natales; pourvu bientôt d’une place de correcteur dans une imprimerie d’Avignon, il pouvait dire, comme le personnage de Schiller : « Me voilà de nouveau sur un sol qui m’appartient. » Il avait retrouvé son jardin de Saint-Rémy.

Saint-Rémy est une petite ville située au pied des Alpines, au fond de cette magnifique vallée qui montre fièrement vers le nord Avignon et son château des papes, vers le midi les tours sarrasines des arènes d’Arles. Le Rhône traverse la campagne d’un bout de l’horizon à l’autre. Le point central est à Beaucaire; arrêtez-vous là, montez sur les ruines des Montmorency, vous apercevrez Avignon à gauche, Arles à droite, en face de vous le château de Tarascon, plus loin dans la campagne les deux tours de Château-Renard, la vieille chapelle romane de Saint-Gabriel, plus loin encore, du côté du sud, sur le penchant de ces montagnes crénelées qui se colorent si richement au soleil, les monumens romains de Saint-Rémy. Un bastion avancé des Alpes, le Mont-Ventoux, avec les petites chaînes qui viennent s’attacher à ses flancs, encadre majestueusement ce splendide tableau. Voilà le théâtre où M. Roumanille voulait exercer par la poésie son apostolat populaire. Ce n’étaient pas ces grands spectacles qui l’attiraient, mais il retrouvait dans la campagne d’Avignon tout ce qui l’avait enchanté dans son mas des pommiers : même ciel et mêmes fleurs, surtout même peuple, mêmes coutumes, même langage. D’Avignon à Arles et du Rhône au Mont-Ventoux, il connaissait tous les sentiers; les mœurs de la ferme ou de l’atelier n’avaient point de secrets pour lui. Que de fois, observant un trait de caractère, notant une expression originale, il avait préparé longtemps à l’avance son action sur le peuple ! C’était bien là un monde qui lui appartenait, et l’heure était venue où il devait s’en emparer. Après de longues études, il se livra enfin à son inspiration poétique; il se mit à lire aux ouvriers de la ville des récits familiers, des apologues moraux, excellens tableaux de genre dans lesquels la leçon se dégageait toujours de la joyeuse vivacité des détails. Une veine qui s’annonçait déjà chez lui et qui allait s’enrichir de jour en jour, c’était la grâce souriante d’un moraliste chrétien unie à la verve d’un Téniers provençal. Il chantait aussi les joies printanières de la nature, il cherchait dans les scènes de la vie agreste des symboles de vérités pratiques, ou bien il s’essayait à exprimer des sentimens personnels qui pouvaient être les sentimens de tous. Ces pièces cueillies un peu au hasard, ces premières fleurs d’une langue,