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l’heure dite, les lanciers s’avancèrent sur les bachi-bozouks. Comme les chevaux des irréguliers étaient toujours prêts, à la vue des lanciers, ils sautèrent en selle et gagnèrent Varna au plus vite. La place était bien nettoyée, aucun malheur n’était arrivé, et le licenciement définitif des bachi-bozouks ou spahis d’Orient était consommé à ma grande satisfaction. Les bachi-bozouks , perdus désormais pour nous, se répandirent à l’instant dans Varna. Apprenant que les anciens spahis d’Orient inondaient sa ville, le pacha fit proclamer à son de trompe sur les places et du haut des édifices publics que tout bachi-bozouks qui serait trouvé la nuit à Varna serait immédiatement appréhendé et pendu haut et court. Entendant de tous côtés annoncer ces bienveillantes dispositions à leur égard, les bachi-bozouks se le tinrent pour dit, et s’empressèrent d’évacuer la ville au plus vite.

Que devinrent les officiers dans ce licenciement général? Tous les officiers d’infanterie (et malgré la mortalité qui les avait frappés comme les autres, il en restait encore beaucoup) furent versés dans les corps d’où ils sortaient et d’où l’on n’aurait jamais dû les tirer. Rentrés dans leur véritable élément, ils furent à la hauteur du grand rôle qu’a joué l’infanterie dans les deux dernières guerres entreprises par la France; mais cet hommage même rendu à l’infanterie française m’amène à dire quelques mots encore de la question posée au début de ce récit, à rechercher, puisque notre cavalerie régulière est formée, si l’expérience des bachi-bozouks doit nous détourner de la formation d’une cavalerie irrégulière. Or je crois en avoir assez dit pour que cette expérience ne paraisse pas concluante.

Régulière ou irrégulière, la cavalerie, la bonne s’entend, ne se forme pas en six semaines. A la suite de la guerre récente d’Italie, je me suis entretenu avec des officiers de chasseurs d’Afrique qui ont eu l’honneur de se mesurer avec la cavalerie hongroise dans les plaines de Solferino. Eh bien! ces officiers rendent justice à la bonté, à la solidité de ces hussards hongrois, à leur adresse à manier leurs chevaux et leurs armes : sont-ce des enfans comme les fantassins imberbes que la même nation a mis en ligne contre nous dans cette guerre? Non, sans contredit; ce sont pour la plupart de vieux cavaliers qui ont blanchi dans le métier, et cette cavalerie a prouvé une fois de plus combien il faut de temps pour avoir une force qui l’égale. La formation d’un corps de cavalerie régulière est une œuvre lente, où une haute expérience doit intervenir; les irréguliers se forment lentement aussi, mais sous des influences étrangères à tout système, et il faut en quelque sorte les accepter tout prêts pour le combat. En tout cas, il faut abandonner l’espoir de les régulariser en quelques jours.