Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 23.djvu/786

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ses troupes pour le camp français. Dans sa course désordonnée, il lui était à peu près indifférent d’aller soit d’un côté, soit de l’autre, puisqu’elle n’obéissait à personne; mais le général gardait le secret jusqu’à parfaite conclusion de la négociation. Quand il sut qu’il allait enfin avoir dans ses rangs la « fameuse héroïne du Kurdistan, » il ne se tint pas de joie; sa quatrième brigade, objet de ses rêves, était trouvée, et il me fit appeler. « Colonel, me dit-il, jusqu’ici vous n’avez pas eu de commandement. J’ai pensé à vous; j’attends demain vers les onze heures du matin un millier de bachi-bozouks que l’on a trouvés errant aux bords du Danube; je vous en destine le commandement, ce sera ma quatrième brigade. » Je remerciai avec effusion le général. Il ne me dit pas un mot de la pucelle du Kurdistan, comme on l’appelait. Je sortis donc de la tente très impatient de voir mes mille bandits arriver au camp.

Le lendemain, l’amazone kurde fut exacte au rendez-vous. A onze heures, on commença d’entendre le charivari guerrier qui précédait la colonne. La musique se composait de timbales, que les cavaliers placés en tête frappaient comme des démoniaques en poussant des hurlemens barbares. On eût dit les sauvages des îles Sandwich s’avançant à la rencontre du capitaine Cook. Aussitôt arrivés dans notre camp, tous mirent pied à terre. Les chefs se réunirent, et, conduits par le chaous du général, ils se dirigèrent vers sa tente. J’y avais été appelé avec les officiers commandant les autres brigades. « Messieurs, nous avait dit le général à la tête de ses cavaliers, vous allez voir une femme. Je suis sûr d’obtenir de vous les égards que l’on doit d’abord à une femme, à celle surtout qui est entourée d’un prestige religieux aux yeux de ceux qu’elle commande. » Quoique fort surpris, nous nous inclinâmes en signe de respect et d’obéissance. Bientôt parut la tête de la députation ; mais, avant d’entrer, les chefs s’arrêtèrent : ils semblaient attendre quelqu’un. Une femme se détacha du milieu de la haie qui se formait pour lui livrer passage et entra la première dans la tente. Le général s’avança, lui dit quelques mots en turc, et elle s’assit par terre, les jambes croisées à l’orientale; tous les assistans restèrent debout. Comment décrire cette héroïne? Il faut, pour avoir une idée de cette étrange figure, songer aux sorcières de Macbeth ou à Elisabeth voyant sur son lit de mort apparaître l’ombre de Marie Stuart. Quant au costume, l’héroïne kurde portait un turban vert, une veste rouge, des pantalons verts à la turque. Un caban de couleur foncée, dont on ne pouvait bien préciser la nuance, vu l’usage qu’elle en avait fait au milieu des camps, tombait sur ses épaules. Des pistolets, yatagans et autres ustensiles de guerre faisaient de sa ceinture un véritable arsenal. Elle était petite, et sans l’expression d’énergie