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l’avais quitté capitaine dans la légion étrangère, au combat du col de Mouzaïa en Afrique, où il venait d’être blessé assez grièvement. Au lieu du brillant officier dont l’énergique physionomie était restée dans mes souvenirs, je retrouvais un homme courbé sous le poids des soucis du commandement et sous les premières atteintes du mal qui devait l’enlever. Le maréchal portait une redingote bleue; il était coiffé d’un képi militaire, de couleur grise, soutaché d’innombrables galons en soie jaune, marque distinctive de son haut grade dans la hiérarchie de l’armée. Il m’accueillit avec sa bienveillance habituelle, en arrêtant sur moi un regard dont l’expression mélancolique semblait trahir un pressentiment funeste. Notre conversation ne fut pas longue : je reçus l’ordre de rejoindre immédiatement les bachi-bozouks campés dans la plaine de Varna, sous le canon de la place, et je m’empressai d’obéir.

Le général Yusuf étant mon chef direct, puisqu’il était chargé de l’organisation de la cavalerie irrégulière, c’est à lui que je devais me présenter en quittant le maréchal. Le général était absent; mais notre célèbre peintre Horace Vernet, que j’avais l’honneur de connaître depuis longues années, logeait avec lui et me reçut. Informé du motif de ma visite, il fit seller un de ses chevaux, et me donna un guide pour me conduire au camp des bachi-bozouks, où j’allais faire connaissance à la fois avec mon chef et avec mes subordonnés.

Bachi-bozouk, en turc cela veut dire tête folle, et l’expression ne paraîtra pas trop dure à quiconque aura connu ces hordes barbares. Quelques mots avant tout sur l’origine de ce corps qu’on avait conçu la triste pensée de régulariser en quelques jours. A la déclaration des hostilités entre la Russie et la Turquie, la guerre sainte fut proclamée dans toute l’étendue de l’empire ottoman, et des points les plus reculés accoururent tous les fidèles à la défense de l’étendard du prophète. Les mamelucks, les janissaires avaient été immolés; le sultan avait régularisé son armée : toute sa force en cavalerie ne pouvait consister que dans la levée de ces bandes d’irréguliers qui furent autrefois redoutables, la cavalerie turque ayant toujours passé pour une des meilleures de l’Europe. L’élément de ces bandes, c’étaient les bachi-bozouks. On en vit venir des bords du Tigre, de l’Euphrate, du golfe Persique, des montagnes du Kurdistan, etc. Au nombre de vingt-cinq à trente mille, ils s’abattirent dans le camp d’Omer-Pacha, généralissime des troupes ottomanes. Ils devinrent bientôt un embarras pour le général turc. Impatient de se débarrasser de ces sauterelles qui lui dévoraient tout, Omer-Pacha s’empressa de nous offrir une partie de cette troupe indisciplinée. La France prit quatre mille bachi-bozouks à sa solde, et l’Angleterre, notre alliée dans la lutte, le même nombre. Je n’ai pas à m’occuper