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sentiment? Pour ne parler que de la cavalerie irrégulière, il faut voir dans quelles conditions elle peut rendre quelques services, et l’on comprendra mieux alors pourquoi son rôle a été à peu près nul dans la guerre d’Orient.

La cavalerie irrégulière ne figure que dans un petit nombre d’armées européennes. L’Angleterre n’en a jamais eu, l’Autriche n’en possède point non plus, ses uhlans sont de la cavalerie régulière; la Prusse n’en a jamais montré en ligne. La France a fait deux essais : l’un, avec les spahis, qui a été couronné de succès, tout en laissant place à quelques objections[1]; l’autre, des plus malheureux, avec les bachi-bozouks. Quant à la Russie, elle possède depuis longtemps dans le cosaque le véritable cavalier irrégulier. C’est à elle surtout qu’il faut demander des leçons sur l’emploi de cet élément de guerre.

La cavalerie régulière a occupé beaucoup d’écrivains spéciaux, parmi lesquels il faut citer les généraux de Préval et de Létang, qui ont écrit des pages dignes d’être méditées par les jeunes officiers de cavalerie. Le général de Préval surtout raconte ce qu’il a vu, et les leçons que l’on peut tirer de sa longue expérience, acquise dans les grandes guerres du premier empire, n’en sont que plus instructives[2]. La cavalerie irrégulière n’a pas eu d’aussi nombreux historiens. Deux écrivains cependant sont à citer sur la matière : le général russe Benkendorf et le général français de Létang; encore ne nous ont-ils donné que des écrits de quelques pages.

Le général Benkendorf, le premier en date, puisque son étude est de 1816, s’occupe exclusivement des cosaques et de leur utilité à la guerre. Ce rapide tableau, où abondent les récits des combats livrés contre nous de 1812 à 1815, fait briller le cosaque à nos dépens; mais, comme on l’a dit spirituellement, « notre amour-propre national n’a nullement à s’en blesser : la France est assez riche en gloire militaire. » Cet ouvrage est d’ailleurs marqué au coin de la franchise. Il faut rendre cette justice aux Russes, et nous avons été à même de nous en convaincre dans la guerre de Crimée : ils sont souvent plus véridiques que nous. Au dire et au témoignage des

  1. Les corps de spahis seront un instrument de guerre d’autant meilleur qu’on se rapprochera plus de leur forme primitive, qu’on a dénaturée par une organisation imprudente.
  2. On regrette, quand on a lu les Commentaires, que César soit tombé au moment d’entreprendre la guerre des Parthes, dont il eût écrit l’histoire. On éprouve un regret pareil en voyant dans nos guerres modernes tomber trois de nos plus grands généraux de cavalerie, sans qu’ils aient laissé aucun écrit à la postérité : je veux parler de Murat, Montbrun et Lasalle. Que d’instructions, que de hautes leçons ces trois grands jouteurs de cavalerie eussent pu nous léguer, avec un savoir-faire que personne n’a pu atteindre jusqu’à ce jour!