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épiscopal! On aimerait à y vivre mélancolique, isolé, détaché. C’est la première fois que je comprends la mélancolie dans le midi. »

« Rosas, août 1858.

« Rosas. — Une pauvre petite ville insignifiante de six cents maisons basses, éclatantes de blancheur, couvertes de toits rouges, rangées en file le long de la mer, au fond du golfe. Un fort en ruines à l’entrée, et sur le rocher du cap quelques pans de mur du fort de la Trinidad, détruit par les Français. Déjeuné dans un petit pavillon, sur le bord de la mer, le plus près possible de cet éblouissant tableau... Ciel parfaitement clair, mer très légèrement asperata par la brise. Autour de cette admirable mer, la belle baie de Rosas décrivant sa vaste et gracieuse courbe; à gauche, le cap que forme la pointe extrême de l’Albere dans la mer ; tout l’autre côté bordé de montagnes lointaines qui apparaissent à l’horizon; ces montagnes, et surtout la chaîne des Pyrénées, d’un ton vaporeux, délicat, lumineux, exquis, se rapprochant de la teinte du ciel... Monté sur une petite jetée en bois et avancé au-dessus de l’eau bleue; assis, contemplé, aspiré par tous les pores la lumière, l’air, la mer, la beauté, la caresse de toute la nature. C’est comme l’apparition du midi qui se lève devant moi, le sens de cette nature qui s’éveille, l’entraînement invincible qui opère... Quelle différence avec la nature allemande, avec les fraîcheurs touffues et mystérieuses, les brouillards, le Waldleben, la profonde vallée de la Forêt-Noire, les retraites, la vague rêverie, l’impression plus intérieure! Ici tout est ouvert, tout est lumineux, tout enivre et pénètre l’homme d’une caresse si douce, qu’elle lui fait oublier toute autre chose que de la sentir. La terre n’est rien ici; elle peut être sèche, aride; il y a la lumière, l’eau, le ciel et la forme; une fleur de beauté sur toutes choses. Volupté physique et esthétique de ces climats. Demeuré là une heure couché. Cela semble si naturel aux gens du pays et aux matelots catalans qui vont et viennent, ils comprennent si bien le repos, qu’ils passent sans me déranger et me disent : No se mueva. Deux vaisseaux en rade chargés de blé et qu’on décharge; va-et-vient de barques des navires à la terre. Tout devient beau dans cette lumière et sur ces ondes foncées. Forme charmante des barques avec les sacs de blé entassés au milieu. Le soleil frappe leurs bords; c’est un plaisir de les voir voguer moitié dans cette eau, moitié dans cette lumière limpide. Les hommes qui déchargent les sacs, coiffés de grands bonnets rouges, les pantalons relevés jusqu’au haut des cuisses, entrent dans l’eau jusqu’au-dessus du genou. Beaux jarrets tendus, brunis. — Encore un commentaire