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qui ne sont pas moins ingénieux, délicats, quelquefois profonds. Ce jeune homme, dans le mouvement de sa pensée et de son imagination, gardait évidemment les instincts d’un enfant du midi, et il le laissait bien voir lorsque dans un voyage en Angleterre il disait : « C’est triste, un pays habituellement privé des nuits étoilées, où le regard, en s’élevant le soir, ne trouve pas d’infini où se plonger... » Par un certain goût de la clarté et de la netteté, M. Alfred Tonnelle était tout Français; mais c’était un esprit français éveillé, excité au contact du génie allemand. C’est principalement sur l’art, sur ses conditions, son essence et son but, que le jeune penseur s’était fait des idées où l’on sent le fier élan d’une âme émue de l’idéal. Faire œuvre d’artiste pour lui, ce n’est pas traduire servilement, minutieusement, par la parole, par le pinceau ou par les sons, un fait, un caractère, une situation ou un paysage, et l’erreur de ce qu’on a nommé le réalisme est dans cette prédominance de la partie matérielle de l’art. La poésie, la peinture, la musique, sont pour ainsi dire les dialectes différens d’une même langue, des signes visibles destinés à exprimer une idée, le sens moral des choses, en ramenant l’esprit au type suprême et toujours insaisissable de la beauté.

L’essence de l’art n’est point l’imitation; sous des formes diverses, c’est une vivante et permanente interprétation. « Pour le vulgaire, dit-il, idéaliser, c’est embellir. Ainsi un portrait idéalisé veut dire un portrait flatté, embelli, un portrait menteur, et voilà pourquoi on ne peut se figurer que l’idéal soit compatible avec la ressemblance; mais il en est tout autrement. Idéaliser, c’est tout simplement mettre une idée dans la forme, faire de l’objet matière de l’art un signe d’idées... Idéaliser l’objet, ce n’est donc pas l’embellir, mais le transformer : auparavant il ne représentait que lui-même, à présent il représente une idée que vous le chargez d’exprimer, et à ce compte il n’est pas de portrait véritable, s’il n’est idéalisé, car jamais on ne regarde un visage sans l’animer, sans l’interpréter. Un portrait doit donner l’idée du personnage, une vue l’idée du paysage... La ressemblance véritable, c’est-à-dire l’identité, l’artiste ne l’obtiendra jamais, puisqu’il lui faudrait des moyens dont il ne disposera jamais : le soleil, l’air, la lumière, de la chair et du sang véritables. Ce à quoi il arrivera dans ce sens ne sera jamais qu’illusion d’invention, et même, s’il pouvait y arriver, à quoi bon une seconde édition, une copie identique de la nature? Le but de l’art est donc tout autre. » Ce n’est pas que le jeune théoricien méconnaisse la valeur des procédés matériels dans les arts, le rôle de la couleur dans la peinture; mais la couleur, aussi bien que les sons dans la musique, doit être un signe visible servant à l’expres-