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cidément rien de commun entre mon inconnue et elles. Je leur fus présenté. Je me mis à causer avec Mme Chlikof ; la sœur avait engagé une discussion avec un géologue étranger. Je lui appris que j’avais le plaisir d’être un de ses voisins, du district de X…

— Ah ! j’y ai un petit bien, répondit-elle, près de Glinnoë.

— Certainement, répliquai-je, je connais votre Michaïelovskoë. Y allez-vous quelquefois ?

— Rarement.

— N’y étiez-vous pas il y a trois ans ?

— Attendez ! Il me semble que j’y étais. Oui, certainement, j’y étais.

— Avec votre sœur ou seule ?

Elle me regarda.

— Avec ma sœur. Nous y avons passé une semaine. Nous y étions pour affaires. Du reste, nous n’y avons vu personne.

— Il me semble qu’il y a peu de voisins ?

— Oui, il y en a peu.

— Dites-moi, c’est bien chez vous qu’il y a eu un malheur dans le temps, Lucavitch ?

Les yeux de Mme Chlikof se remplirent de larmes.

— Vous l’avez connu ? demanda-t-elle avec vivacité. Quel malheur ! C’était un si brave, un si bon vieillard… Et sans aucune raison.

— Oui, oui, répétai-je, quel malheur !

La sœur de Mme Chlikof s’approcha de nous. Il paraît que les savantes remarques du géologue sur la formation des côtes du Volga étaient pour quelque chose dans ce mouvement de retraite.

— Pélagie, monsieur a connu Lucavitch.

— Vraiment ? le pauvre vieillard !

— Dans ce temps-là, je chassais souvent autour de Michaïelovskoë. Il y a trois ans, lorsque vous y étiez…

— Moi ? dit Pélagie avec quelque surprise.

— Mais oui, certainement ! répliqua vivement sa sœur. Ne te rappelles-tu pas ?

Et elle lui jeta un coup d’œil rapide.

— Eh ! oui, oui,… certainement ! répondit tout à coup Pélagie.

— Eh ! eh ! pensai-je, il paraît que tu n’étais point à Michaïelovskoë, petite colombe ?

— Ne voulez-vous pas nous chanter quelque chose, Pélagie Fédorovna ? dit soudain un grand jeune homme avec un toupet blond et des yeux ternes.

— Je ne sais vraiment rien, répondit Mlle Badaef.

— Et vous chantez ? m’écriai-je avidement en quittant ma place d’un air empressé. Au nom de Dieu ! ah ! au nom de Dieu ! chantez-nous quelque chose !

— Et que vous chanterai-je ?