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présente un plafond d’Amboise ou de Fontainebleau. On en veut à Meyerbeer de ses tâtonnemens et de ses scrupules; bien des gens lui font un crime des conditions qu’il impose lorsqu’il s’agit de l’exécution de sa musique. Et cependant quoi de plus légitime et de plus naturel, quand on réfléchit à la manière dont lui-même il travaille, à l’esprit de suite qu’il apporte dans les moindres détails de sa composition? L’auteur des Huguenots et du Prophète n’improvise pas; tout ce qu’il fait a sa loi d’être, et pour rendre dignement sa pensée, il faut beaucoup de voix, beaucoup de passion et infiniment d’intelligence : trois choses qui en général ne courent pas les rues. Ici tout se tient, et chaque personnage a son importance. Sans parler de Raoul, si brave et si ému, si poétique surtout, et dont la physionomie a frappé tout le monde, regardez au second plan, et prenez le duc de Nevers : n’est-ce point une physionomie avenante et courtoise, et qui rappelle les plus élégans portraits de l’époque?

J’ai parlé des arabesques de cette merveilleuse architecture dans le goût de la renaissance; mais que dire des effets du quatrième acte, de cette bénédiction des poignards, qui récemment à l’Opéra, dans un festival, fit pâlir toute musique à son voisinage, à ce point qu’on eût dit une explosion de l’Etna comparée à des feux d’artifice? Que dire du grand duo qui suit entre Valentine et Raoul, inspiration sublime, où l’on ne sait qu’admirer davantage de l’expansivité mélodique ou de l’intensité dramatique, et qui vous force à penser à la fois à Mozart et à Shakspeare? Ce duo, auquel les illustres interprètes n’ont jamais manqué, trouva du premier coup son expression la plus haute dans Nourrit et dans Mlle Falcon. Et il est en effet assez naturel que de tels artistes, égaux, sinon supérieurs à tous autres, s’exerçant sous les yeux du maître dont ils recevaient pour ainsi dire la pensée immédiate, aient trouvé le sens définitif, le nec plus ultra de l’exécution de ce morceau, qui fut aussi leur œuvre, leur création. Nourrit, qui ne négligeait pas un détail de ses rôles, ne perdait point de vue cette scène, qu’il regardait comme le point culminant de l’édifice : il s’y préparait, s’y élevait par degrés, et quand elle arrivait, l’abordait avec le calme énergique et l’autorité de la conviction.

De Robert le Diable (1831) aux Huguenots (1836), cinq ans s’étaient écoulés; il s’en passa treize entre les Huguenots et le Prophète, qui fut représenté à l’Opéra en avril 1849, C’est ici le cas de remarquer combien Meyerbeer appartient à son époque. Dans cette communauté même de sentimens et d’idées, avec elle est le secret de la grande influence qu’il exerce. Robert le Diable, l’opéra romantique par excellence, parut au plus beau de l’épanouissement