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d’autres, roses, géraniums, œillets, résédas, étaient destinées en grande partie à courir les rues de Londres sur de petites charrettes. Les costers les échangent pour de l’argent, quelquefois même pour de vieux habits, dans les plus pauvres quartiers de la ville, dans les allées sans air et sans soleil, où ces fleurs, exposées sur le rebord d’une fenêtre terne, servent du moins à rappeler l’idée de la nature. La Sémiramis de ces jardins suspendus est le plus souvent une ouvrière occupée à des travaux d’aiguille. Les moralistes anglais parlent volontiers du développement qu’a pris, depuis ces dernières années, le commerce des fleurs en pot dans les quartiers populeux. Ils s’appuient sur le témoignage d’un mendiant qui disait : « Je ne crains point de frapper à la porte d’une maison quand j’ai vu un pot de fleur à la fenêtre ; je suis sûr qu’il y a là une bonne âme et comme un parfum de charité. »

Sous les arcades de la place qui encadre le marché se passait une autre scène intéressante. À quelques-uns des piliers larges et bas s’adossaient des cafés en plein vent (coffee stalls). De monstrueux vases de fer-blanc [tin-cans) versaient à tout venant la liqueur noire et fumante, tandis que d’énormes piles de morceaux de pain beurré, entassées sur des planches, défrayaient les appétits aiguisés par l’air matinal. Ces cafés se trouvent protégés contre la bise, surtout en hiver, par des paravens et des draps jetés sur des couvertures. Dans ces parlours improvisés, les habitués déjeunent sur des chaises et des bancs. Cependant Londres a faim : il est de neuf à dix heures ; dans toutes les rues qui avoisinent le marché, la procession des petites voitures se met en marche, et jusque sur les degrés des édifices publics ou des théâtres vous rencontrez des jeunes filles, pieds nus, gravement occupées à diviser en petites bottes (penny bundles) les légumes achetés à Covent-Garden. Elles sont venues de loin avec quelque petite monnaie nouée dans un coin de leur châle ; il leur faudra marcher encore bien des milles à travers les cruelles rues de Londres, pénétrer dans les allées les plus obscures, heureuses si au bout de la journée elles recueillent quelque profit !

On a vu que le grand marché aux poissons avait lieu le vendredi à Billingsgate, parce que c’était le jour où les fonds étaient le plus bas dans les ménages de la classe ouvrière : le principal marché aux légumes se tient le samedi dans Covent-Garden pour une raison toute différente. Le samedi soir, l’ouvrier anglais reçoit en argent le fruit du travail de la semaine ; c’est aussi le moment de faire ses provisions. Il est curieux de visiter alors certaines rues larges et populeuses du vieux Londres, telles que par exemple White-Chapel-Road : c’est plutôt une foire qu’un marché. Des centaines