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humaines, le titan sublime et douloureux si magnifiquement entrevu par M. Michelet dans quelques pages inspirées et presque sibyllines de son livre sur la Renaissance. Les œuvres de cette sorte se jugent par la règle même qu’on applique en les mesurant : essayez donc de juger cela d’après les simples notions du beau ordinaire! Du dessin et de la couleur, de l’invention mélodique et de la science instrumentale, à peine si l’on s’en occupe, tant vous absorbent la grandeur et la puissance de l’esprit qui vient à vous, et que portent ces courans électriques de l’art, comme jadis les flots de la mer portaient l’esprit de Dieu! Pour nous en tenir à la musique, là même est le point par où cet art touche à ce qu’il y a de plus élevé, — cet art que tant de gens s’obstinent encore à ne vouloir considérer que comme un délassement frivole, et dont Beethoven a pu dire qu’il le révérait comme une chose sacrée et le plaçait au-dessus de toutes les philosophies; ce qui n’empêcha pas un moment les rieurs de s’égayer fort de cette prétention qu’affichait la musique moderne de traiter des sujets en dehors de sa compétence! « Histoire! philosophie! politique! religion! qu’est cela? s’écriait-on de toutes parts; mais y pensez-vous, ma mie? Ce ne sont point là vos affaires. Allons, plus de folies! Retournons bien vite à notre clavecin. » C’était en vérité s’y prendre habilement pour nier le progrès que de s’attaquer à un art né d’hier, ressortant du pur domaine de l’intelligence et jouissant en outre de ce singulier privilège de voir ses moyens d’exécution s’accroître et se multiplier de jour en jour, d’un art enfin dont l’émancipation ne date que de Beethoven! Mais il paraît qu’il en doit être ainsi de toutes les causes, politiques, sociales, littéraires ou musicales; la plupart ont leurs émigrés, lesquels vous soutiendront au besoin que les chemins de fer n’ont été inventés que pour remonter le cours des siècles.

Un homme qui, Dieu merci, est bien de son temps, c’est M. Meyerbeer; suivez jusque dans ses moindres variations cette vive intelligence, et vous verrez comme tout y procède d’une façon complexe, Leibnitz dirait sphérique, comme en elle le développement musical ne s’isole jamais du développement des autres facultés pensantes. « Je suis homme, s’écriait Térence, et rien d’humain ne doit me rester étranger. » Il semble qu’à son exemple M. Meyerbeer se soit dit : « Je suis musicien, et rien de ce que les poètes et les historiens ont écrit, de ce que les philosophes ont pensé, ne saurait être ignoré de moi. « J’ignore naturellement ce que sera la musique de l’avenir; mais grâce à la partition des Huguenots je sais, à n’en pas douter, ce que devait être la musique du présent. Le spectateur se sent là tout de suite dans une atmosphère intelligente, où