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posant son ouvrage, ne se proposait d’autre but que d’y entasser toute sorte de richesses musicales. Aujourd’hui un pareil procédé ne serait plus possible, et l’esprit nouveau ne permettrait plus à un maître de se tenir à ce point isolé du mouvement des choses publiques. Si c’est un bien ou si c’est un mal, un signe de progrès ou de décadence, nous nous abstenons de le discuter; mais il n’en est pas moins vrai que la musique vit désormais d’une foule d’idées extra-musicales. « On pourrait, je le vois, vous appeler le seigneur Microcosme, » dit Méphistophélès à Faust, et ces paroles du vieux diable de Goethe, nous les appliquerions, mais sans ironie, à tel grand compositeur de la période actuelle, à M. Meyerbeer par exemple. Chez quel homme en effet se résument mieux toutes les tendances, tous les raffinemens, toutes les spéculations d’un âge dont le moindre tort est de n’être point simple, et qui, en rapprochant les distances, en créant à l’esprit humain mille ressources pour accroître le trésor de ses connaissances à peu de frais et sans dépense de temps considérable, devait nécessairement agrandir le domaine des arts?

Il existe certaines anecdotes traditionnelles sur la vie des grands artistes qui en quatre mots caractérisent un homme et une époque, et mériteraient à ce seul point de vue d’être rappelées à la mémoire du public, alors même qu’une impitoyable critique prétendrait nous démontrer qu’elles ne contiennent pas un mot de vrai. Authentique ou non, la légende qui fait mourir Léonard de Vinci dans les bras de François Ier exprime on ne saurait mieux les rapports d’intimité où vivaient au XVIe siècle les rois et les artistes. J’en dirai autant du mot prêté à Michel-Ange : « Sanzio a traversé la chapelle Sixtine, » mot qui certes peut bien ne pas être vrai, mais qui définit à merveille, et avec la pointe d’ironie qu’on peut admettre en pareil cas, la troisième manière de Raphaël. On prétend de même que Mozart, voyant un jour le jeune Beethoven improviser au piano, se serait écrié : « Ou je me trompe fort, ou celui-ci aura quelque chose à nous dire. » Ce pronostic, nous le croyons du moins, n’a pas menti, et la suite est venue en effet démontrer assez généralement que Beethoven avait « quelque chose à dire. » Ici nous voudrions citer un passage d’un écrivain allemand qui, selon nous, rend avec beaucoup de justesse ce qu’il y a d’extra-musical dans la conception de cet immense génie. « Cette fois, écrit M. Julien Schmidt en parlant des symphonies de Beethoven, on sent qu’il ne s’agit plus de tous ces lieux-communs de joie et de douleur qui jusque-là servirent de texte à la musique instrumentale : un monde inconnu s’ouvre à nous, le monde de l’esprit. Nous entendons gronder ses mystérieux abîmes, et nous nous tourmentons à comprendre