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naturels plus faciles. Les capitaines de navires, sachant en outre que, dans l’éventualité d’un différend avec les indigènes, l’intervention conciliante et désintéressée du missionnaire ne leur ferait pas défaut, recherchent de préférence le lieu où il a planté sa tente.

Malheureusement les missionnaires sont aux Marquises trop peu nombreux et trop détachés des choses de ce monde. S’ils pouvaient d’une façon suivie donner eux-mêmes aux indigènes l’exemple d’un travail manuel, s’ils employaient la persistante énergie dont ils sont doués pour la propagande catholique à prouver d’abord à quelques néophytes qu’on peut tirer du travail un bénéfice plus digne et supérieur à celui qui résulte à peu près uniquement de la prostitution, ils réussiraient, je n’en doute pas, à entraîner petit à petit la population dans une voie nouvelle, et mettraient un terme aux débordemens et à cette débauche précoce si préjudiciable à la reproduction de l’espèce. Il est assurément très sage de baptiser les sauvages, de leur enseigner la morale, mais il n’importe pas moins de leur donner les moyens de la suivre, aujourd’hui surtout que l’occupation leur a créé des besoins, les a initiés à des jouissances dont ils n’avaient aucune idée. Soit que les divers commandans des Marquises n’aient pas été bien pénétrés des intentions du gouvernement, soit que le gouvernement, préoccupé d’intérêts plus sérieux et plus immédiats, ait négligé de formuler catégoriquement ses intentions, la présence d’une force armée à Nukahiva n’aura abouti qu’à faire craindre et respecter le nom français : c’est déjà quelque chose ; mais il reste maintenant à le faire aimer et bénir. Aux missionnaires reviendra sans doute tout l’honneur de cette noble et délicate mission. Leurs succès aux îles Gambier[1] nous donnent l’espoir que les Nukahiviens recevront d’eux à leur tour l’impulsion destinée à les conduire vers un état social digne de nous.


MAX RADIGUET.

  1. La puissante action des missionnaires aux îles Gambier n’est pas sans analogie avec celle qu’eurent les jésuites dans leurs réductions du Paraguay. Les habitans de Mangareva, naguère encore anthropophages de la pire espèce, savent aujourd’hui écrire et lire le polynésien ; ils bâtissent des maisons semblables aux nôtres, utilisent les terres cultivables de l’île, récoltent du maïs, du coton, différens légumes, tissent les vêtemens qu’ils portent, et accomplissent surtout leurs devoirs religieux avec une régularité exemplaire.