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chercher un autre asile. « Le tapu ne te protège plus, lui dit-on, puisque les Français ont un guerrier plus grand que toi. » Pakoko, voyant tomber son prestige, se sentit perdu, et ses défiances eurent surtout pour objet les tribus voisines. Plus d’un membre de celles-ci, enlevé par surprise, avait défrayé ses festins. Il redoutait la peine du talion. Dans cette conjoncture, il envoya des agens vers M. Porteu pour traiter de sa soumission. Sera-t-il mangé ? fut la première question adressée à l’officier français. Celui-ci s’engagea formellement pour la négative, ce qui parut causer une surprise extrême aux envoyés. — Que lui fera-t-on ? demandèrent-ils encore. — Les chefs français rassemblés en conseil peuvent seuls disposer de son sort. — C’est bon, dirent les indigènes, Pakoko viendra ; mais il est vieux, souffrant ; n’exige pas qu’il vienne tout de suite. — Quand viendra-t-il ? — Demain.

M. Porteu pensa qu’il en coûtait à l’orgueil du vieux canaque de se rendre à tout autre qu’un chef supérieur. Il accorda le délai à la condition toutefois que les proches parens de Pakoko lui seraient livrés en otage, ce qui fut immédiatement consenti. Le chef tint parole, et vint en effet le jour suivant se mettre à la discrétion du commandant Amalric. Il était malade, épuisé par les veilles, amaigri par les privations et les inquiétudes ; pourtant, à travers les signes visibles de ce misérable état, on devinait que les souffrances de l’orgueil blessé étaient chez lui infiniment plus cuisantes que celles du corps. Il fut, avec cinq de ses compagnons, jugé par un conseil de guerre. Sa culpabilité ne laissait aucun doute. L’arrêt, prononcé le lendemain, condamnait Pakoko à mort, ses agens à l’exil. Avant de le faire connaître au vieux chef, des mesures avaient été prises pour en assurer l’exécution immédiate. On traduisit à Pakoko, ramené devant ses juges, les questions adressées aux témoins et les réponses en vertu desquelles il était condamné. « Comment va-t-on me faire mourir ? demanda-t-il ; par la corde ou par les armes à feu ? — Tu seras fusillé. — Ah ! s’écria-t-il avec satisfaction ; mea meitai (c’est bien). » On lui dit de se lever et de sortir. « Vais-je à la mort ? » dit-il, et, comme la réponse ne lui laissait aucun doute, s’appuyant sur un bâton plus haut que lui de deux pieds, il s’avança vers ses juges, les salua de l’éventail ; puis, se redressant avec fierté, il leur jeta un haoha (salut) d’une voix aussi ferme que s’il fût entré dans le prétoire en simple visiteur. On voulut lui lier les mains ; il en demanda la cause, et, surpris qu’on le supposât capable de chercher à fuir : « Aore meitaï, Ferani (ce n’est pas bien, Français) ! » s’écria-t-il. On lui laissa les mains libres. Il parut sensible à ce procédé, et, comme s’il s’agissait d’une promenade, il marcha conversant avec ses gardes. « Vous faites bien de vous