Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 23.djvu/638

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. Amalric favorisait d’une façon toute spéciale le chef Te-Moana, qui, soutenu depuis 1842 par notre influence, était devenu l’homme de nos intérêts. Cette politique reléguait au second plan des chefs plus sérieux, entre autres Pakoko, que l’on a vu figurer à la prise de possession des Marquises. Sorti de la classe des kikinos, devenu par ses faits d’armes, son caractère énergique et entreprenant, ses cruautés mêmes, l’une des puissances de l’île, Pakoko, type du chef polynésien, véritable représentant du parti national, s’était en maintes circonstances montré rebelle à un état de choses qui froissait son orgueil ; mais, n’osant le combattre ouvertement, il se bornait à entretenir contre lui une opposition sourde. Une circonstance devait bientôt révéler cette violente nature. D’un commun accord, le commandant Amalric et Te-Moana, voulant mettre un terme aux orgies nocturnes dont la baie de Taiohaë était le théâtre, déclarèrent la rade tapu pour les femmes, et leur interdirent ainsi l’accès des navires. Pakoko protesta contre ce tapu, au moins pour sa tribu. À son instigation, les femmes contrevinrent à la défense ; mais, prises au nombre de vingt-six en flagrant délit de natation illicite, elles durent enfin payer de quarante-huit heures de réclusion le mépris persistant qu’elles avaient fait de la loi. Or la prison est pour les canaques une humiliation des plus cruelles, et par malheur au nombre des incarcérées se trouvaient deux filles de Pakoko. Dès que ce chef eut appris l’outrage fait à sa progéniture, il appela ses guerriers à la vengeance, et peu de jours après, dans une embuscade, six de nos hommes tombaient sous ses coups. Les canaques, exaltés par la réussite de ce premier acte d’agression, montrèrent aussitôt le manteau rouge de leur costume de guerre au sommet des collines, et, suivant la coutume, ils défièrent les Français par des cris et de bizarres gambades. M. Porteu, lieutenant d’artillerie, reçut l’ordre de marcher contre eux avec un détachement. Dans une première expédition, il rencontra l’ennemi, vengea le meurtre de nos compatriotes, et revint après avoir incendié les cases et détruit les silos à popoï de la vallée d’Avao. Le succès de cette première tentative eut pour effet d’amener à se prononcer pour nous plusieurs chefs happas et taïpis, qui sans doute avaient suivi la marche des événemens, prêts à appuyer le parti que favoriserait la fortune. Ils vinrent au fort protester de leur dévouement, et afin de nous en donner une preuve, ils livrèrent, sur l’injonction de M. Amalric, plusieurs complices du meurtre de nos hommes. Cependant toutes nos ouvertures échouèrent pour les décider à livrer aussi Pakoko. Il était grand-chef, et à ce titre inviolable. On comprit qu’on ne se rendrait maître de Pakoko qu’en allant le traquer par surprise dans son réduit. L’aventure était périlleuse. Au-delà