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Les femmes étaient vêtues des plus neuves et des plus amples tapas, car les dimensions de ce manteau en font le luxe. Assises au milieu de cette vaste étoile aux plis anguleux, plusieurs jeunes filles semblaient de loin prises jusqu’au cou dans un bloc de marbre. Leur coiffure ne le cédait point à celle des hommes pour la complication. À toutes les oreilles se montraient des plaques d’ivoire de dents de cachalot sciées transversalement. Sur tous les seins éclataient des guirlandes vertes et rouges, à toutes les mains s’agitaient des éventails semi-circulaires. Dans cette galerie de femmes, on ne remuait guère, sans doute pour ne pas troubler l’économie d’une coiffure laborieusement construite, et l’on causait en général assez peu. Les confidences s’échangeaient à voix basse, et les observations se faisaient par signes ; mais on paraissait s’entendre suffisamment du regard et de fort loin.

Dès qu’une sorte de maître des cérémonies tenant une baguette enrubannée eut désigné aux diverses tribus étrangères les hangars qui leur étaient affectés, la fête s’ouvrit par un formidable cri de guerre que l’assistance lança vers le ciel. En même temps, à l’extrémité du koïka, deux tahunas sacrifièrent en place d’une victime humaine, que la présence des Français sauva sans doute, un malheureux chien, dont on déposa les restes sur l’autel. Les vieillards parurent voir avec chagrin ce simulacre profanateur des sacrifices ; mais bientôt résonna le tam-tam, et toutes les tribus en chœur entonnèrent une hymne en l’honneur du nouvel atua. La musique en était grave, lente et simple ; elle se composait de trois ou quatre demi-tons et de fréquentes syncopes. Les baguettes sonores et les battemens de mains ordinaires l’accompagnaient. Après cet hommage rendu au grand-prêtre défunt, les tribus alliées s’assirent au milieu de la place pour exécuter le comumu des makaüi[1], improvisé en l’honneur des Français vers les premiers temps de l’occupation. Comme tous les chants du pays, celui-ci est fort court et se répète plusieurs fois, mais à chaque reprise le vieillard qui le dirige en accélère la mesure et communique aux choristes une exaltation croissante. Les différentes tribus voulurent à leur tour faire entendre leur chant de guerre, et chacune d’elles, jalouse de produire le sien avec avantage, déploya dans l’exécution la même fougue, l’entrecoupant de hourras et y jetant la rauque et sauvage rumeur des conques. Plusieurs individus l’accompagnaient en frappant avec une telle furie de la main droite l’angle formé par leur bras gauche demi plié et collé à la poitrine, que la peau meurtrie

  1. « Ma foi oui ! » Cette locution, d’un usage fréquent, nous avait fait nommer makaüi.