Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 23.djvu/617

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le mariage à Nukahiva n’a rien de commun avec le pacte solennel dont les plus déterminés n’acceptent point chez nous sans inquiétude les périlleux hasards : ce n’est pas la chaîne éternellement rivée, c’est une guirlande qu’on porte tant qu’elle paraît légère, et qu’on peut rompre dès qu’elle semble pesante. Rien ne se fait plus simplement qu’un mariage. Pour peu que deux jeunes gens se conviennent, ils demandent à leurs familles l’autorisation de vivre ensemble. Le consentement est-il accordé, on fait aux fiancés des présens qui consistent en étoffes, en armes et munitions de guerre ; on rassemble les parens autour d’un porc tué pour la circonstance ; la case d’une des familles reçoit aussitôt le jeune couple, et le mariage est accompli sans autre cérémonie. Les parens au contraire mettent-ils quelque obstacle, le plus souvent les amoureux vont chercher ailleurs un abri, et le mariage n’en a pas moins lieu. Après un certain temps d’épreuve, si les époux se reconnaissent de nature incompatible, ils se quittent d’un commun accord, se considèrent comme parfaitement libres, et tout est dit ; mais si la femme déserte par caprice le toit conjugal pour suivre un amant, le mari la guette et lui administre des corrections véhémentes et réitérées. Le rival vole naturellement au secours de sa maîtresse en pleurs ; des rixes s’engagent, les haches se mettent de la partie, et l’affaire se termine fréquemment par le meurtre de l’un des adversaires. Les séparations volontaires sont rares, surtout parmi les kikinos ; quant aux séparations légales, si je puis employer ce mot, la brutalité du mari en est à peu près l’unique motif légitime. Quelques femmes ont plusieurs maris ; c’est le système oriental pris à rebours. La faculté d’avoir plusieurs maris n’est pourtant pas générale, elle n’appartient guère qu’aux atapeïus. Une fille enceinte, quelle que soit l’origine de sa grossesse, trouve aussitôt vingt épouseurs ; les akaïkis surtout se disputent sa possession : c’est que, hélas ! par suite des débauches auxquelles s’abandonnent les femmes à peine âgées de douze ans, la fécondité devient une vertu fort rare dans le pays ; aussi l’enfant du hasard est-il adopté avec bonheur par le mari.

Le désir d’avoir des enfans est fondé sur deux graves motifs, où l’intérêt personnel tient une aussi grande place que le besoin d’affection : d’abord la nécessité de se créer pour sa vieillesse une aide et un appui qui feraient à peu près défaut sur une terre où l’on ne connaît pour ainsi dire d’autre loi que celle du plus fort, en second lieu et surtout la crainte de mourir isolé. En effet, aux Marquises, la famille seule entoure le moribond des pratiques nécessaires pour faciliter l’entrée de son âme dans l’autre monde ; seule aussi, elle rend au mort les derniers devoirs. Faute d’une famille, les restes mortels courent le risque d’être tout simplement enterrés ou jetés