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feu, est cuit le premier ou le deuxième jour, mangé le troisième et les jours suivans. Les chefs, grands-prêtres et vieillards sont seuls admis aux repas de chair humaine ; mais en temps de guerre les kikinos mêmes peuvent y prendre part. Un canaque armé d’un roseau tranchant découpe le corps ; les pieds, les mains et les côtes sont offerts aux chefs, les fesses reviennent au grand-prêtre. Les femmes sont exclues de ces festins, qui leur inspirent du reste la plus profonde horreur ; aussi durant plusieurs jours fuient-elles avec répugnance tous les hommes suspects d’y avoir pris part.

Si l’on veut rencontrer le Nukahivien dans sa pureté, dans toute son élégance native, ce n’est point chez les Teïs, c’est chez les Taipis et dans les autres îles peu fréquentées du groupe qu’il le faut chercher. D’une haute stature, les épaules effacées, le thorax en avant, svelte, le torse légèrement cambré sur les hanches, le Nukahivien s’avance, la tête fière et parfois arrogante, mais avec un port assuré, une démarche libre et hardie. Il semble taillé moins pour la lutte que pour la course et l’escalade. Il tient plutôt du gymnaste que de l’athlète. Il a les traits du visage purs et corrects, le nez droit ou aquilin, court parfois ou légèrement épaté, jamais difforme. La bouche n’est ni grande ni lippue ; le front, un peu bas, un peu fuyant, est rasé à la partie supérieure, ce qui a fait dire que les canaques avaient le front haut. Si le Nukahivien parle et s’anime, son œil noir, grand, nacré, d’une mobilité extrême, éclate dans le tatouage, où s’ouvre aussi dans un sourire la raie d’argent de ses dents blanches. On peut esquisser la forme physique de l’habitant des Marquises, mais il est plus difficile de définir les bizarreries de sa nature fantasque. Il tient beaucoup de l’enfant ; il est aussi peu capable de reconnaissance, il a les mêmes caprices irascibles. Il est nerveux, inquiet, impatient. La superstition est un des traits saillans de sa nature. Il est hospitalier ; son premier abord est avenant, doux, rieur ; puis au moindre froissement, et pour des motifs que l’étranger ne saisit pas toujours, une brusque révolution se fait en lui, et il devient farouche. Pour peu qu’un intérêt soit en jeu, la finesse et la ruse prennent chez les canaques le masque de la bonhomie. La prédominance du système nerveux chez le Nukahivien explique l’effervescence de ses passions et aussi le prompt affaissement de la surexcitation fébrile qui s’est emparée de lui. Il a les défauts et les qualités de sa nature. On le dit en certaines circonstances cruel jusqu’à la férocité ; mais cette accusation ne nous semble pas justifiée, ou du moins, si on l’admet, il faut en demander compte à ses pratiques religieuses plutôt qu’à son caractère.

La taille des femmes est moyenne, leur galbe modelé souvent avec une pureté que la statuaire nous a révélée presque seule en