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civils et religieux. La seconde se compose du reste de la population, les kikinos. L’autorité de l’akaïki a des limites fort restreintes. Son influence dépend surtout de sa valeur individuelle. Ses droits consistent à prendre chez les kikinos les objets qui sont à sa convenance, à percevoir une dîme sur leurs récoltes, à lever un impôt sur leurs bénéfices, à les chasser de son domaine s’il a lieu de s’en plaindre, et enfin à prononcer les interdictions rigoureuses connues sous le nom de tapus. Ses devoirs, peu compliqués, semblent se borner uniquement à faire observer les tapus et à punir ceux qui les violent. Rien ne distingue extérieurement l’akaïki du kikino. Le kikino est généralement le domestique et le soldat des chefs ; ses occupations ordinaires se bornent à préparer et à servir la nourriture de la famille. Du reste, il mange au même plat, couche sur la même natte que le maître ; il est souvent aussi le mari de la même femme, et comme il n’est lié par aucun pacte, il peut à sa convenance quitter son patron et en servir un autre. On est akaïki par droit de naissance ; on le devient en s’illustrant à la guerre, en s’alliant à une atapeïu[1], en se faisant adopter par un chef. Quand un akaïki a plusieurs enfans, c’est l’aîné, garçon ou fille, qui hérite du titre et des propriétés ; les autres enfans restent kikinos. Souvent les akaïkis de première classe prennent le titre de grands-prêtres et remplissent les fonctions sacerdotales, mais les grands-prêtres et les grandes-prêtresses véritables sont les tahuas ; les autres desservans se nomment les tahunas. La partie matérielle des sacrifices et autres cérémonies du culte est du ressort de ces derniers : ils battent les tam-tams sacrés, comme les corybantes, et assistent les tahuas durant les jongleries religieuses. Les grands-prêtres, destinés presque tous à devenir dieux après leur mort, ont de leur vivant le privilège héréditaire d’être inspirés par les divinités, dont ils transmettent les arrêts à la population. À cette faculté, ils joignent celle de guérir les maladies de l’âme et du corps, qui toujours sont un effet de la colère divine : ils remplissent donc le double emploi de médecins et de sorciers. Une sorte de mystère dont ils s’entourent, le pouvoir qu’ils ont de disposer du tapu, d’exiger des victimes humaines, les rendent très redoutables.

Chez un peuple porté à ne reconnaître d’autres droits que ceux de la force, il était indispensable d’opposer aux mauvais instincts un frein des plus puissans. Telle fut l’origine du tapu, qu’on fit émaner d’une source divine. Tapu signifie défense formelle, interdiction complète. Le tapu était toujours dans l’origine la volonté des dieux transmise au peuple par l’intermédiaire des prêtres ; mais il prit un

  1. Femme chef.