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ami. Il voulait pénétrer pendant la nuit au milieu de la flotte turque et semer partout l’incendie. Vainement Kriésis et d’autres officiers s’offrirent à exécuter ce coup de main, représentant au vieil amiral que ses forces le trahiraient peut-être, et que les devoirs de son commandement autant que son âge s’opposaient à ce qu’il remplît l’office d’un simple capitaine. Miaoulis resta inébranlable. « Croyez-vous, leur disait-il en redressant sa haute taille, que ce bras ne saura pas lancer un crampon et mettre le feu aux étoupes ? Le droit de venger celui qui vient de mourir n’appartient qu’à moi ! » Néanmoins, ayant appris qu’Ibrahim avait quitté Navarin pour passer à Modon, il changea subitement d’avis, et, favorisé par une forte brise du nord, il tomba sur les Turcs à l’improviste au moment même où ils venaient d’entrer au port. Ces derniers levèrent l’ancre afin de gagner le large ; mais, contrariés par le même vent qui poussait les Grecs sur eux, ils ne purent sortir. Miaoulis leur brûla une grande frégate, 6 bricks ou corvettes et 20 galiotes ; il ne pouvait offrir aux mânes de son ami de plus magnifiques funérailles.

Pendant le cours de la même année (1825), Miaoulis ravitailla trois fois de suite Missolonghi à travers les plus grands périls. Ayant tenté de jeter une quatrième fois des hommes et des vivres dans cette malheureuse ville, contre laquelle les Turcs avaient réuni toutes leurs forces, il ne put accomplir son entreprise, et, après avoir tourné pendant plusieurs jours comme un lion furieux autour de l’ennemi, il se retira désespéré[1]. Nous n’insisterons pas sur ces opérations, parce qu’elles n’offrent aucun incident vraiment digne d’être rapporté dans cette rapide étude. Pour la même raison, nous ne suivrons point le navarque dans les nombreuses rencontres qu’il eut avec les Turcs jusqu’à la fin de l’année 1827, époque à laquelle les insulaires, ruinés et décimés par sept années consécutives de combats et de victoires, auraient fini par succomber dans cette lutte inégale, si la France, l’Angleterre et la Russie ne s’étaient enfin entendues pour soustraire la Morée au cimeterre d’Ibrahim. On sait comment la bataille de Navarin anéantit en quelques heures la puissance maritime de la Turquie.


III.

Les Hellènes, à peu près débarrassés des barbares, faillirent compromettre par des querelles intestines le fruit de leur héroïsme. Après avoir si glorieusement prouvé qu’ils n’avaient rien perdu des

  1. Les Missolonghiotes, conduits par Constantin Botzaris et par Karaïskakis, ne pouvant plus défendre leur ville, firent une sortie dans laquelle ils furent en grande partie massacrés.