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vança .enfin vers eux à une portée de canon, et leur envoya quelques boulets pour les engager à la retraite ou au combat. À ce moment, un violent orage survint, et la foudre éclata sur le grand mât du vaisseau qui portait le capitan-pacha. Celui-ci, épouvanté de ce sinistre présage, leva l’ancre et s’éloigna décidément dans la direction de Mytilène, aimant mieux, après tout, courir la chance de tromper ou de fléchir le sultan que le danger d’être pris ou brûlé par les Grecs. Les habiles manœuvres de l’amiral d’Hydra avaient sauvé le Péloponèse et réduit la garnison de Nauplie à mettre bas les armes.

Nous avons entendu en deux endroits fort éloignés l’un de l’autre quelques fragmens d’un chant qui célèbre les remarquables combats dont le golfe d’Argos fut le théâtre. C’est au milieu des ruines cyclopéennes de la sauvage Tyrinthe qu’un pâtre nous a chanté, sur un air triste et monotone, ce début d’un petit poème dont nous n’avons trouvé les dernières strophes que plus tard, en traversant le Magne[1] :


« Courage, enfans de Colocotroni, la Palamède[2] ne tiendra pas longtemps ; ses murs sont jonchés de morts ; les survivans ont faim et soif.

« Ils ont écrit à Constantinople pour demander à boire et à manger, car ils ne sont pas comme les pallikares, qui mangent la poudre et le plomb…

« Le capitan-pacha leur envoie ce message plein de fanfaronnades et de mensonges, ce message que leur apporte un navire autrichien :

« Tenez bon quelques jours encore. Pour le moment, ma flotte invincible est arrêtée ; les eaux sont basses ; elles ne peuvent donner passage à mes vaisseaux victorieux. »

« Car il ne veut point leur avouer que c’est Miaoulis et les vautours hydriotes qui leur opposent une infranchissable barrière. »


Miaoulis, ne laissant pas un jour de repos à ses équipages, poursuivit sans relâche les Turcs, qui tentèrent à plusieurs reprises de jeter des troupes en Morée. Il était secondé dans cette lutte par Tsamados, à qui Miaoulis portait une amitié toute particulière, par Sachtouris, Kriésis, Pépinos, Orlando, surtout par Constantin Canaris, dont la réputation grandissait chaque jour. La tactique de l’amiral consistait principalement à lancer ses brûlots, que les jeunes capitaines réunis autour de lui dirigeaient avec une incroyable audace et un rare bonheur. Profitant du désordre causé par ces machines incendiaires et de la démoralisation qui s’emparait aussitôt de l’ennemi, il donnait la chasse à des escadres entières qui la plupart du temps ne résistaient pas à l’attaque de quel-

  1. Contrée située entre Sparte et la mer.
  2. Haute forteresse qui domine Nauplie.