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état de faire à moi seul toutes les dépenses de la marine. » La fortune des Gondouriottis était évaluée à des sommes fabuleuses ; mais il n’en est pas moins vrai que Lazare tint parole et qu’il consacra la plus grande partie de ses trésors à l’équipement et à l’entretien de la flotte. Tous les autres primats agirent de même, et les Hydriotes sortirent de cette guerre affranchis, couverts de gloire, mais à peu près ruinés.

Le 16 avril 1821, les îles annoncèrent par un manifeste la résolution qu’elles avaient prise de concourir à la délivrance de la patrie commune. La flotte hellénique se composait de cent soixante-seize navires, dont quatre-vingt-dix-huit hydriotes ; le plus considérable de ces bâtimens était une frégate de 18 canons appartenant à Miaoulis[1]. Chacune des trois îles avait son amiral ; mais celui d’Hydra conserva la direction des opérations militaires, l’escadre hydriote étant la plus nombreuse, la plus riche et la mieux équipée.

La ville d’Hydra est hardiment jetée sur le flanc presque à pic d’un haut rocher et divisée en deux quartiers par une sorte de précipice. Les maisons groupées en amphithéâtre éblouissent les regards par l’éclatante blancheur de leurs murs crépis à la chaux, et qui reflètent les feux du soleil. La ville a perdu de cette grande activité qui y régnait avant les guerres de l’indépendance ; tout le mouvement commercial s’est aujourd’hui porté vers l’île de Syra. Cependant quelques belles habitations appartenant à d’anciennes familles me rappelèrent l’opulence passée de cette petite cité ; je passai devant la demeure de Miaoulis, vaste maison d’architecture tout européenne qui est encore la propriété des fils du célèbre amiral[2]. Des rues étroites et tortueuses me conduisirent, à travers

  1. Les Grecs ne tardèrent point à construire quelques-unes de ces chaloupes incendiaires si connues sous le nom de brûlots ; voici à quelle occasion. Leur flotte se trouvait à Psara (mai 1821), attendant les musulmans qui s’apprêtaient à sortir des Dardanelles. Les officiers, convoqués par le navarque Tombazis, délibéraient sur les moyens d’arrêter la marche de l’ennemi sans courir les chances d’un engagement général. Le navarque se souvenait qu’un Anglais lui avait autrefois parlé d’une espèce de petit bâtiment appelé brûlot, avec lequel les Russes avaient incendié bon nombre de vaisseaux turcs dans la baie de Tschesmé en 1770 ; mais Tombazis n’avait aucune idée de la manière de construire et de manœuvrer une embarcation de ce genre. Ce mot de brûlot vola aussitôt de bouche en bouche, et chacun de chercher à pénétrer le secret de cette admirable invention. Un vieux marin de Psara se présenta et dit qu’il avait préparé lui-même et dirigé plusieurs bâtimens de ce genre pour le compte des Russes. Trois chébeks furent sur-le-champ mis à la disposition de cet homme et convertis en brûlots. Le mois suivant, les Grecs en firent une expérience heureuse sur un navire ennemi surpris dans les eaux de Mytilène. Ces barques incendiaires, dont l’emploi exige surtout du sang-froid et de l’audace, devinrent en peu de temps un puissant moyen de destruction entre les mains des intrépides marins de l’Archipel.
  2. L’un est aide-de-camp du roi Othon, l’autre ministre de la marine.