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Mexique, et partout cette chance mauvaise à laquelle il croyait l’avait poursuivi. Il laissait voir la détermination de continuer sans relâche ; mais dans cette correspondance, souvent interrompue, on ne sentait jamais la confiance ni l’espoir. Lucile, à laquelle Berthe communiquait quelquefois ces lettres marquées de timbres si divers, devinait que sa sœur en avait reçu quelqu’une aux caresses plus longues et plus attendries qu’elle prodiguait au jeune Francis. Un jour vint où M. d’Auberive apprit à Mme Claverond qu’il partait pour la Californie. C’était comme une tentative suprême. Berthe eut froid dans les os en lisant cette lettre qui contenait en quelque sorte le testament de sa triste vie sans que le mot adieu fût écrit nulle part. Le pressentiment qu’il ne reviendrait jamais la saisit ; elle en parla à Lucile, qui s’efforça de la tranquilliser sans y réussir. Cette crainte fit de tels progrès que Berthe, combattue jusqu’alors par le scrupule de rapprocher d’elle un homme que la mort de Julie avait rendu libre et qu’elle aimait, ne résista plus au désir de le rappeler. Elle en fit la demande à Félix, qui se montra disposé à donner une position convenable au père de Francis. Berthe écrivit dans ce sens à M. d’Auberive, mais ne se sentit pas soulagée du poids qui l’oppressait : — Tu verras qu’il ne recevra pas ma lettre, disait-elle à Lucile, qui haussait les épaules et se moquait de ses terreurs superstitieuses. — La Californie n’est pas un pays d’anthropophages, disait-elle… ce sera bientôt la mode d’y passer une saison !

Six ou huit mois après, un acte de décès envoyé par le consul de France à San-Francisco arriva, constatant la mort de M. d’Auberive, enlevé en peu de jours par la fièvre au fond d’un placer. D’une main défaillante, il avait écrit au crayon, sur un lambeau de papier, le nom de son fils et celui de Mme Félix Claverond. Ces seuls indices avaient guidé le consul.

Lorsque Lucile, prévenue par un mot, accourut à l’hôtel de la rue Miromesnil, épouvantée déjà de l’état où elle allait voir sa sœur, elle la trouva occupée à vêtir de noir le jeune Francis, qui pleurait. Berthe était de la couleur d’un cierge, mais ne versait point de larmes. — Que t’avais-je annoncé ? dit-elle en tendant la main à Lucile.

— Dieu ! mais ta main est comme du feu ! s’écria Mme de Sauveloche.

— Tu crois ?… un petit accès de fièvre causé par l’émotion peut-être ; mais je m’attendais à cette mort, et la fièvre passera.

Dès le lendemain, Berthe se fit rendre compte par M. Claverond de l’état exact des sommes auxquelles Francis avait droit comme héritier de son père et commanditaire de la maison. Le petit ca-