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tion d’où la haine suintait sans qu’on pût accuser Mme d’Auberive d’avoir rien dit qui fût littéralement répréhensible ! Sous quels éloges emphatiques ne l’accablait-elle pas en présence d’étrangers qui ne connaissaient pas Mme Claverond ; mais comme elle savait prendre des attitudes de victime résignée pour dire aux personnes qui ne s’en informaient pas que Francis avait passé la soirée rue Miromesnil, que Berthe seule avait l’art de le rendre heureux et gai, et qu’elle donnerait son sang pour avoir ce caractère et cet esprit qu’il aimait ! — Si je n’ai pas toutes les qualités qui rendent Berthe si délicieuse, disait-elle, je tâche au moins d’être complaisante. — Que répondre à des paroles si pleines de bonté, répétées en tous lieux, à haute voix et sur tous les tons, accompagnées de regards mouillés et de sourires plaintifs qui leur prêtaient des commentaires éloquens ? Quelque temps M. d’Auberive les avait supportées, soutenu par l’espoir, non que Julie changerait, mais qu’elle se lasserait. Il aurait épuisé toutes les heures d’un siècle et toute la patience d’une génération avant de voir ce phénomène. La catastrophe qui venait d’atteindre Mme Claverond fut un aliment nouveau à cette haine mal déguisée. Mme d’Auberive ne manqua pas de la plaindre bruyamment avec de grands hélas ! et de lui porter tous ses complimens de condoléance ; mais quel venin et quel fiel dans le récit qu’elle faisait à tout venant de ce malheur ! Elle avait prévu la ruine de M. Claverond dès longtemps, elle avait même donné des conseils qui n’avaient pas été écoutés ; une source d’or n’aurait pas suffi à alimenter le luxe dont Berthe s’entourait. Une amie pouvait seule calculer ce que coûtaient une maison où le désordre régnait en maître et une toilette que la fantaisie gouvernait. Certainement elle ne voulait jeter aucune ombre sur les qualités rares de Mme Claverond, mais que de remords cette pauvre femme ne devait-elle pas éprouver quand elle jetait un regard en arrière ! Un jour vint où cette guerre sourde, à laquelle Francis avait d’abord opposé l’indifférence, prit de telles proportions et un caractère de continuité si envenimée, qu’il dut se résoudre au sacrifice de l’amitié qui lui était si secourable par cela seul que Berthe avait deviné les fatigues et les ennuis d’une situation où le bien n’était qu’à la surface. Sa propre dignité, le respect qu’il devait à Mme Claverond le lui commandaient également. Il se rendit chez elle et le lui dit avec une franchise où elle vit la profondeur de l’affection qu’il lui avait vouée. Elle en fut frappé ; comme du coup le plus rude qu’elle eût encore supporté. — Vous avez raison, dit-elle, il n’y a pas à hésiter… Donnez-moi la main, et adieu !

Elle fut la première à prononcer ce mot terrible, où l’on retrouve quelque chose du glas de la mort. Elle était ferme, toute pâle, et