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expédient ; mais Somers et Pembroke avaient d’autres idées. Ils se souvenaient d’avoir lu ce que Locke avait écrit. Ils lui demandèrent ses conseils, l’appelèrent à des conférences où il discuta lumineusement la question et ramena le gouvernement à de plus saines maximes. Il en seconda la propagation par deux nouveaux écrits, dont l’un, publié en 1695, est dédié à Somers. Dans tous il réfute avec clarté les fausses opinions qui avaient partout et longtemps prévalu sur cet important sujet, et au milieu de quelques erreurs alors universelles en économie politique, son sens droit le met sur la voie des principes qui ne sont plus contestés aujourd’hui en matière de numéraire. On peut dire qu’il contribua à l’adoption du plan de refonte des monnaies, qui honora l’administration de Charles Montague. Dans cette importante opération, Locke fut l’économiste et Newton le savant. On n’ignore pas que la charge de maître de la monnaie, cette sinécure qui sert encore quelquefois à faire un membre du ministère, était remplie à cette époque par le révélateur du système du monde, et l’on ajoute que le crédit de Locke ne fut pas étranger à cette nomination.

C’est le moment où il fut le plus mêlé aux affaires publiques. Une place de commissaire du commerce et des colonies, avec 1,000 livres sterling de traitement, le récompensa de ses services. Le roi le vit et lui demanda plusieurs fois conseil. D’abord ils étaient tous deux asthmatiques, et Guillaume le consultait à la fois comme malade et comme médecin. Puis il le faisait parler sur la liberté de conscience, sur les préjugés des sectes, sur les universités, qui lui reprochent encore d’avoir voulu les mettre mal en cour. On prétend que Locke dit au prince que, s’il n’y prenait garde, elles seraient capables de le détrôner. Ses propres expressions paraissent avoir été : « Sire, vous avez fait une très glorieuse et très heureuse révolution ; mais les bons effets en seront bientôt perdus, si l’on ne prend soin de mettre ordre aux universités. » Ces paroles sont empreintes de la prévoyance exigeante d’un esprit généralisateur qui lie toute grande révolution politique à une révolution intellectuelle, et peut-être sont-elles une des meilleures preuves du caractère systématique du libéralisme de Locke. C’était, à certains égards, un homme de notre temps et, si j’ose ainsi parler, un réformateur à la française ; une nuance de radicalisme colore toutes ses idées. Il est vrai que les fruits de la révolution de 1688 n’ont pas été perdus, et que cependant, tout à l’heure encore, les universités demeuraient à bien peu près telles que Locke les avait connues. Elles étaient un des plus curieux exemples de ce mélange du vieux et du neuf qui fait l’originalité de l’Angleterre, et sir William Hamilton répétait il y a peu d’années au gouvernement anglais le pressant conseil de