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n’a point à se régler sur ce qu’on fait et pense ailleurs. Il a semblé à l’Angleterre que les événemens lui imposaient la prévoyance comme une loi, et qu’elle était astreinte à un surcroît de précautions. Qu’elle se trompe en cela ou qu’elle ait raison, elle n’en a pas moins agi comme elle devait agir. L’opinion se prononçait, elle l’a entendue. Elle a fait une enquête sur ses forces de mer, elle en a commencé une sur l’état de ses côtes, elle a pressé ses enrôlemens, exercé ses milices, armé ses volontaires, accru le nombre de ses soldats. Le caractère de ces mesures est ouvertement défensif, et ne saurait causer d’ombrage à aucun gouvernement. Ce à quoi prétend l’Angleterre, c’est d’être en mesure de résister, de quelque part que vienne l’attaque, quels qu’en soient les moyens. Qui peut le trouver mauvais ? Il est impossible de contester que, dans ces termes et en la dégageant de craintes exagérées, cette conduite ne soit digne du peuple qui la tient. Le seul danger, c’est qu’elle ne dépasse le but qu’on se propose. Au nombre des conseils qui lui ont été donnés et qui n’ont leur excuse que dans un excès de zèle, il en est que l’Angleterre ne pourrait pratiquer sans porter atteinte à ce qui fait son titre et sa force, — ses libres institutions. Les militaires, les gens du métier, ont surtout abondé dans ce sens. On a vu ce qui lui était proposé au sujet des population maritime ; on a étendu à son armée l’application de ces avis officieux. On l’a invitée à en faire un élément plus essentiel de sa défense, à en élargir les cadres, à lui donner une organisation plus permanente, à en rendre le recrutement moins précaire, en empruntant des procédés justifiés par l’expérience et qui sont en usage sur le continent. Que l’Angleterre redoute de s’engager sur cette pente périlleuse, qu’elle laisse ces voix imprudentes s’éteindre dans l’isolement. Ce qu’elle doit à ses institutions viriles, elle le voit, et elle le sent ; elle sait ce qu’elle a gagné dans cette indiscipline apparente qui n’est que la surface d’un ordre bien garanti ; elle sait qu’en dehors et au-dessus des forces organisées, il y a dans les communautés des forces latentes qu’y développe l’exercice de droits étendus, et qui se retrouvent quand l’honneur est en jeu ou que le salut l’exige. Le génie et l’intelligence de la liberté l’ont conduite où nous la voyons : qu’elle n’y attente en rien sous peine de déchéance !

De son côté, la France a fait également ce qu’elle devait faire : elle ne pouvait pas rester découverte quand autour d’elle personne ne s’y résignait. Les devoirs étaient les mêmes, les actes se sont réglés sur les devoirs. On a donc imprimé et dû imprimer une certaine activité à nos chantiers, à nos arsenaux, à nos forges, à nos ateliers de machines. De là est sortie une flotte qui compte parmi les plus belles que nous ayons eues, et qui a su s’emparer avec