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ici[1] avec un rare bonheur d’expression et une chaleur entraînante. Il faut revenir à ce document, le méditer, en suivre les détails, quand on veut se former une idée de la distance qui sépare le point de départ du point d’arrivée. On y voit notre marine à l’œuvre, doutant encore d’elle-même, et retrouvant la confiance à l’école de l’activité ; on y assiste à la vie de nos hommes de mer, à cette forte éducation que développent des croisières prolongées, à cette lutte contre les élémens où l’âme et le corps se trempent si bien. C’est de cette époque que date l’armement permanent, seul moyen d’entretenir l’esprit de corps et de fonder une tradition navale qui survive au renouvellement des équipages et aux vicissitudes du commandement. Ce régime, alors nouveau, qui a survécu aux bouleversemens politiques, entre pour une grande part dans l’ascendant chaque jour plus réel de notre marine, dans l’estime où on la tient et dans les craintes qu’elle inspire. C’est à ce moment aussi que l’emploi de la vapeur, le rôle qu’elle doit jouer dans les flottes, ont été mis à l’étude, et il est bon de rappeler devant quelle autorité s’inclinèrent les résistances que cette innovation rencontrait. Il y eut alors un élan dont les effets durent toujours. Notre corps d’officiers supérieurs, si brillant et si solide, s’y est formé par les bons exemples, et les donne à son tour aux jeunes officiers qui sortent de nos écoles. Nos marins y ont puisé les élémens de cette instruction et de cette discipline qui se transmettent d’un équipage à l’autre comme un legs religieusement conservé ; la meilleure entente des manœuvres, la précision du tir, le perfectionnement du canonnage, l’installation régulière des vaisseaux, ont été le produit de cette renaissance à laquelle l’opinion publique s’associait avec un assentiment marqué. Depuis ce temps, le mouvement ne s’est point ralenti, et a même puisé un surcroît d’énergie dans le renouvellement que les progrès de la science et de l’art ont rendu nécessaire. Ainsi s’est créée et maintenue une flotte qui commande le respect, et qui sait ce qu’elle vaut.

Ce dénombrement achevé, que reste-t-il à en conclure ? C’est que l’équilibre des proportions n’est pas aussi détruit qu’on le prétend, et qu’il demeure à peu près ce qu’il était dans les périodes précédentes. Des deux côtés, on a eu une marine à refondre ; on y a procédé, et on a dû y procéder d’urgence : les circonstances le commandaient. Des inconvéniens sont attachés à cette précipitation, et nous les avons signalés. Les deux marines ont mieux aimé les subir que de laisser leur pays à découvert. À cet égard, comme l’a dit lord Palmerston, chaque état est juge de la conduite qu’il doit suivre, et

  1. Voyez l’Escadre de la Méditerranée dans la Revue du 1er août 1852.