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de guerre, ont à peine suffi aux trente mille Français que comprenait l’expédition. Cent mille n’exigeraient pas moins de quatre cents voiles marchandes. Quel convoi ! et comment imaginer qu’il puisse agir par surprise ? L’embarquement s’effectue, on part. À quelques lieues au large, l’ennemi se montre, le combat s’engage. Tant qu’il dure, le sort des transports est en suspens, et si de la flotte opposée il se détache quelques vaisseaux à grande vitesse qui prennent ces bâtimens un à un, les désemparent et les coulent, quel moyen y aura-t-il d’empêcher cette destruction ? Il faudrait pour cela que le nombre de nos navires de combat dépassât celui de nos adversaires, et c’est toujours le contraire qui a eu lieu, de sorte que, même vainqueurs, nous n’aurions plus qu’un convoi décimé et mis hors d’état de pousser les choses plus loin. Admettons encore qu’on arrive intact au lieu du débarquement, croit-on que les escadres ennemies déserteront la lutte au moment où le sol national est sur le point d’être violé ? N’auront-elles point de boulets pour ces chalands et ces chaloupes chargés de soldats, et ne profiteront-elles pas de la confusion qui règne toujours en un pareil moment ? Poussons les choses plus loin : la descente a eu lieu, notre armée se forme à terre, nous avons pris pied. Que feront nos vaisseaux ? Resteront-ils en nombre sur ces rades foraines, exposés à la fois à de nouvelles attaques et au déchaînement des vents, ou bien se retireront-ils en laissant cette armée sans communication avec le continent, livrée à elle-même au milieu de populations en armes, et n’ayant pas la certitude d’être soutenue ? On le voit, ce n’est pas une entreprise ordinaire, où la valeur des soldats compense et aplanit toutes les difficultés. Rien n’est impossible aux nôtres, et ils l’ont bien prouvé : ils se montreraient là ce qu’ils se sont montrés partout, héroïques ; mais même avec eux, et en comptant sur les étonnemens qu’ils nous réservent, il serait sage de ne pas tenter la fortune à ce point.

On dit à cela qu’il y a des exemples de descentes, et de descentes heureuses. Oui, à deux conditions toutefois, des mers ouvertes et des rivages dégarnis. Des armées ont été alors mises à terre presque sans coup férir. Oublions l’expédition d’Irlande, où l’étoile de Hoche le servit si mal ; quelques débris de ses troupes touchèrent seuls la terre pour aller languir sur les pontons. En Égypte et en Afrique, le sort nous servit mieux ; on put débarquer au Marabout, près d’Alexandrie, et à Sidi-Ferruch, à quelques lieues d’Alger. Dans l’un et l’autre cas, il n’y eut pas de résistance sérieuse. Les grèves du Marabout étaient complètement désertes ; celles de Sidi-Ferruch n’offraient qu’un petit nombre d’assaillans, plus tumultueux que redoutables, qui poussaient leurs chevaux jusqu’aux bords de la mer et fuyaient ensuite après avoir déchargé leurs fusils. Reste la