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dite n’existe plus qu’à l’état de tradition. Depuis Aboukir et Trafalgar, il n’y a point eu de ces rencontres d’escadres qui assurent au vainqueur l’empire de l’Océan. Si la paix continentale a été troublée de loin en loin, la paix maritime ne l’a pas été ; des flottes ont pu traverser les mers chargées de missions militaires, les mers n’ont pas été un véritable théâtre de combat. On ne saurait donc dire ce qu’il en sera et comment iront les choses le jour où cette longue trêve prendra fin. Deux élémens récens, la vapeur et l’artillerie perfectionnée, ont si complètement changé les conditions de la lutte que les esprits les plus hardis n’oseraient en prévoir les conséquences ; tout ce qu’on pressent, c’est qu’avec les moyens dont on dispose elles seront terribles. Les difficultés qu’apportait le vent à la rencontre des vaisseaux étant abolies, il s’ensuivra dans les engagemens un caractère d’acharnement et dans les engins de destruction une puissance dont la pensée s’épouvante. C’est l’inconnu, et que Dieu nous garde longtemps des douloureuses éventualités qu’il recèle ! En attendant, il était naturel qu’à défaut de cet emploi direct on cherchât pour nos flottes des emplois auxiliaires. La vapeur y aidait merveilleusement. Ne s’appliquant dans ses débuts qu’à de petits modèles et laissant à l’écart les grands instrumens de combat, elle devait faire naître la pensée d’une combinaison des forces de mer et des forces de terre s’appuyant les unes sur les autres et rendues plus efficaces par la rapidité des mouvemens. Les circonstances s’y sont également prêtées. Dans les campagnes de la Baltique et de la Mer-Noire, on a pu voir de quel avantage il est d’unir les armées de terre et de mer pour des opérations mixtes où elles s’entr’aident et se suppléent. C’est une histoire qui a été écrite ici avec un talent, une vigueur, une étendue de coup d’œil qui ont porté la lumière dans tous les esprits[1].

Cette période des services de la marine est curieuse à examiner, au moment surtout où une autre période commence. La marine y figure à titre de force auxiliaire et pour ainsi dire subordonnée ; la mer ne lui est pas disputée, c’est contre la terre que son effort se dirige. Elle s’approprie à cette destination, et de là ces canonnières et ces batteries flottantes, créées en vue d’un service déterminé. Les canonnières, armées de un à quatre canons et ayant un faible tirant d’eau, ne pouvaient guère être employées qu’à l’attaque ou à la défense des côtes. On en a senti le prix dans la Baltique, où les atterrages sont difficiles ; elles y éclairaient les flottes, et jetaient l’alarme parmi les populations du littoral, tians l’Adriatique, elles se seraient montrées plus utiles encore, si les événemens n’eussent

  1. La Marine à vapeur dans la guerre. — Revue du 15 février 1859.