Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 23.djvu/450

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui est une menace pour tous les états, et contre laquelle il n’en est aucun, petit ou grand, qui ne soit fondé à prendre des précautions même surabondantes. »

L’argument ne manque pas de valeur ; mais ne pourrait-on rappeler aussi le temps où l’Angleterre, enorgueillie de ses flottes, s’imposait toujours et partout aux autres nations ? Ces instincts querelleurs, ces habitudes de violence, en a-t-elle été si exempte qu’elle puisse en faire l’objet d’un reproche fondé ? N’a-t-elle pas eu ses prétentions à une domination exclusse et mis trop souvent la main sur la garde de son épée ? Laissons de côté d’irritans souvenirs. Il est constant que si elle s’est crue menacée, l’Angleterre a eu raison de se mettre sur un meilleur pied de défense. L’opinion publique s’égarât-elle dans ses frayeurs que force serait d’y condescendre. Le premier bien pour un pays est le sentiment de sa sécurité ; ce sentiment, il faut qu’il le puise en lui-même et non dans la modération de ses adversaires, il faut aussi que rien ne puisse l’altérer, ni lui porter ombrage. On s’explique donc que des enquêtes aient été faites et des comités institués, que des personnages influens et des hommes spéciaux aient mis au service de l’émotion populaire l’autorité de leurs opinions, que deux cabinets très différens aient eu sur ce point une conduite et une politique communes. Armer les populations, augmenter l’effectif des troupes régulières, protéger contre les surprises d’une descente les ports, les havres et les arsenaux par des ouvrages intérieurs, achever surtout et d’urgence le renouvellement des flottes, voilà le programme accepté, et dont rien désormais ne peut retarder l’exécution. De tous ces moyens, le plus efficace, le mieux approprié au génie anglais est évidemment le dernier, et c’est celui au sujet duquel il y a quelques observations à faire.

Ce n’est pas la première fois que ces élans d’activité ont été imprimés à la marine ; nous en avons eu des exemples, et presque toujours ils ont laissé des regrets. L’inconvénient en pareil cas est de multiplier à l’excès des modèles de construction et d’armement que condamnent à une infériorité relative les perfectionnemens qui surviennent. Pour ne parler que de ce qui s’est passé dans nos chantiers, il est de certains types dont la reproduction trop fréquente a été une cause d’embarras et de mécomptes. Ainsi, dans le cours du dernier siècle, le vaisseau à voile de 72 construit par l’ingénieur Sané, vaisseau d’une marche excellente et admirable dans ses lignes, a été si souvent et si obstinément reproduit qu’il a fermé longtemps le passage à des vaisseaux d’un échantillon plus fort et porteurs d’une plus puissante artillerie. Plus tard, ç’a été le tour du vaisseau de 90, qui a été jeté à profusion sur nos cales sans que ses formes