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charmes personnels, il espérait faire la conquête du domaine de Mombalère. Nous payâmes les véritables créanciers, et nous payâmes aussi Briscadieu ; cependant cette générosité ne fut pas tout à fait gratuite : il épousa Marinette.

Il y eut encore à cette époque un autre mariage. La petite Marceline épousa le flegmatique Jean d’Hiver, qui, le jour de son mariage, se montra plus morose qu’il ne l’avait jamais été. Le soir même de la noce, il déclara d’un ton lugubre qu’il avait bien peur d’être obligé de corriger sa femme ; mais Marceline, fidèle aux leçons de Zulmé, planta immédiatement l’étendard de la suprématie féminine, et déclara que si elle recevait un grand coup de poing, elle en rendrait deux petits. Malgré cette discussion, qui semblait être de mauvais augure, jamais ménage ne fut plus heureux.

J’allai avec Hortense m’établir à Asparens, et Zulmé resta dans les ruines de Mombalère. Avec les conseils d’un bon architecte, elle répara le château en lui conservant son style. Elle rendit à la culture les déserts qui l’entouraient, et le domaine devint ce qu’il était jadis, un des plus riches du département. Elle était ici maîtresse absolue et incontestée, ce qui sans doute contribua à maintenir intacte l’amitié qu’elle avait vouée à ma chère Hortense ; aussi je suis convaincu que la nouvelle de la mort de ma pauvre sœur l’aura profondément affligée.

Le récit du baron était terminé, et je réfléchissais en silence au caractère romanesque de ces aventures, qui n’avaient fait cependant que me montrer dans leur triste réalité des mœurs dont l’âpreté sauvage tend de plus en plus à disparaître. En ce moment, nous entendîmes le bruit d’une voiture dans l’avenue. Une dame en deuil, qui pouvait avoir environ cinquante ans, belle encore, entra dans le salon où nous nous trouvions, elle se jeta en pleurant dans les bras du baron. En m’apercevant, elle parut un peu confuse.

— Nous pouvons pleurer devant lui, se hâta de dire Léandre ; il connaît toute notre histoire : je lui ai raconté les caravanes du chevalier de Mombalère.


EUGENE DUCOM.