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intellectuel. Ses relations dans le monde politique et dans le monde savant le plaçaient à son rang. À des réunions de chaque semaine chez lord Pembroke, il trouvait des entretiens et même des discussions analogues à ses goûts et à ses études. Enfin, c’est alors qu’il forma deux illustres amitiés, avec le premier homme de son parti et le premier homme de la science, Somers et Newton.

Dans les postes du gouvernement auxquels il fut successivement élevé, Somers ne le perdit jamais de vue. Avec Newton, la liaison fut intime : son nom est le seul qui se rencontre souvent dans les ouvrages de Locke, et toujours avec des témoignages d’admiration. On ne sait si leur connaissance commença le jour où, chez lord Pembroke, la conversation étant tombée sur la création de la matière, Newton leur dit qu’on pouvait s’en faire quelque idée en supposant que Dieu, par sa toute-puissance, aurait enlevé la pénétrabilité à une portion, ou plutôt à plusieurs portions d’espace successives, ce qui donnerait à la fois l’impénétrabilité et le mouvement. Un passage de Locke semble contenir une allusion à cette hypothèse qui, pour avoir réduit aux termes les plus simples la création de la matière, ne la rend pas plus compréhensible[1] ; car elle n’est une explication que si l’espace est incréé, ce qui ne va pas de soi ; et si l’espace est incréé, on ne sait plus comment la nature en pourrait être soumise à la puissance du créateur. Nous ne citons d’ailleurs ceci que comme un échantillon des conversations du salon de lord Pembroke.

On a trouvé dans les papiers de Locke une démonstration du mouvement elliptique des planètes autour du soleil, qu’il tenait de la main même de Newton et qui diffère assez de celle qu’on lit dans les Principes pour mériter l’attention des géomètres. Cette communication paraît remonter à l’année 1689, celle en effet où Newton, élu à la chambre des communes, commença à faire à Londres de plus longs séjours. On sait que Locke, médiocrement versé dans les mathématiques, demanda plus d’une fois à Newton de lui expliquer ce qu’il pourrait comprendre du système du monde. Un commerce philosophique s’établit entre eux, et l’on voit par leur correspondance que les sciences naturelles, la théologie, les antiquités chrétiennes étaient l’objet ordinaire de leurs entretiens. Locke avait entrepris de donner une édition de l’Histoire générale de l’air de Boyle, et sur plus d’un passage il consultait Newton. Newton, comme on sait, avait mêlé à tous ses travaux des recherches sur l’interprétation de l’Écriture, et l’année 1690, Locke ayant annoncé quelque intention de faire un voyage en Hollande, il le pria

  1. Essai sur l’Entendement humain, l. IV, c. X, 18.