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Le premier maître maçon venu vous en construira un pareil, tel il est aujourd’hui et tel il était alors. J’avoue néanmoins qu’en l’apercevant je partageai l’admiration des paysans. Je pensai malgré moi à notre pauvre château de Mombalère, et je me sentais indigne de mettre le pied dans une habitation aussi splendide. Devant le château s’étendait un boulingrin orné d’arbres exotiques, qui était séparé de la route par une grille très massive, ayant à ses extrémités deux loges de concierge en style chinois, bâties en briques rouges et blanches. Au grand désespoir d’Alphane, je me promenai pendant plus d’une heure de l’une à l’autre de ces loges, ne pouvant me décider à entrer. Il fallut qu’une grande femme sortît du massif du boulingrin, s’approchât de la grille et me demandât ce que je faisais là. Je répondis que je désirais parler à M. le comte d’Asparens. Le comte était absent ; il était avec le préfet au conseil de révision. Il devait revenir le jour même, mais on ne pourrait pas lui parler, parce que le préfet, le général et les autres membres du conseil dînaient au château.

Cette information me fut donnée d’un ton qui marquait que mon interlocutrice avait hâte de se débarrasser de moi, et ce fut en balbutiant que je demandai la permission de présenter mes hommages à Mme la comtesse.

— La comtesse, la comtesse ! dit la femme en me regardant d’un air soupçonneux. Est-ce que vous la connaissez ?

Je répondis que je ne l’avais jamais vue, mais que j’avais l’honneur d’être le cousin de M. le comte.

— Ah ! vous êtes le petit Mombalère ? dit la femme ; entrez donc. Je vous prenais pour un Parisien avec votre drôle d’habillement. Entrez… Lorsque le comte sera de retour, je lui parlerai de vous. Quant à la comtesse, elle ne se lève pas de si grand matin ; vous la verrez plus tard.

Elle m’invita ensuite à descendre de cheval et me pria de l’attendre jusqu’à ce qu’elle eût conduit elle-même Alphane à l’écurie. J’insistai vainement pour lui éviter cette peine, elle m’enleva des mains la bride d’Alphane, et revint bientôt après en réassurant qu’il avait du foin de bonne qualité et une litière dont il ne se plaindrait pas ; puis elle me dit de la suivre. J’entrai avec elle dans le château, qui me parut, à en juger par le vestibule et les escaliers, une habitation somptueuse. Au second étage, je fus introduit dans une chambre assez simplement meublée. Ma conductrice s’excusa sur la quantité et la qualité des hôtes qui devaient ce jour-là même descendre au château. Pendant qu’elle regardait s’il ne manquait rien dans la chambre, je l’examinai elle-même : c’était une femme qui n’avait peut-être pas quarante ans, mais à qui, dans