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La tradition veut qu’il ait été consulté et employé par le roi dans l’examen des conditions de tolérance que les lois devaient consacrer. Toutefois, mécontent du peu qui fut fait, il trouva la législation nouvelle bien au-dessous de sa raison.

C’est à la raison, et à la raison seule, que la liberté religieuse devra son triomphe dans le monde. Le sentiment de la justice ou de l’humanité peut contribuer, mais non suffire à l’établir ; la raison y peut suffire, et c’est à elle que Locke consacrait toutes les forces de son esprit. Il crut lui rendre le plus grand service qui fût en son pouvoir (et l’on a cru longtemps ce service bien plus grand encore que lui-même ne l’avait espéré), en publiant l’ouvrage qui est resté après tout le principal monument de sa gloire.

L’Essai sur l’Entendement humain parut en 1690, assez peu de temps après les Principes de Newton. Cette époque est une des dates de l’histoire de l’esprit humain, date mémorable pour nous, si nous réfléchissons que, trente-six ans après, celui qui devait être le maître du XVIIIe siècle se piquait de ne nous avoir appris que la philosophie de Locke et la philosophie de Newton. Si depuis lors l’esprit humain a appelé du jugement de Voltaire, il ne l’a point cassé dans toutes ses parties, et l’époque est restée mémorable, puisque Newton est resté l’inventeur de la vérité et Locke le rénovateur d’une école qui, avec toutes ses erreurs, durera peut-être autant que l’esprit humain, autant du moins qu’il sera vrai, comme on l’a dit, que tous les hommes naissent disciples ou d’Aristote ou de Platon.

D’ailleurs Locke, qui n’avait plus qu’à produire les fruits de longues années de travail et de méditation, fit paraître presque en même temps son traité du gouvernement civil. Quoiqu’une synthèse large et supérieure doive réunir dans une juste mesure le pouvoir et la liberté, et que l’union n’en soit pas plus impraticable dans les faits que dans les idées, on ne peut nier que le pouvoir et la liberté ne soient deux choses si distinctes, si importantes, si souvent exposées à s’entre-choquer et à s’exclure, que l’œil même de l’esprit a peine à les considérer ensemble, et que la science politique penche souvent vers l’un ou l’autre, sans contre-poids qui la retienne. Depuis le commencement du XVIe siècle, la question s’était posée dans presque tous les pays de l’Europe ; elle avait partagé les théologiens comme les publicistes, et les controverses des écoles avaient répondu sur ce point capital aux débats des partis. En Angleterre, la thèse de l’absolutisme avait trouvé jusque sur le trône des apologistes spéculatifs. Adoptée d’instinct par les Tudors, elle avait été soutenue didactiquement par les Stuarts. Jacques Ier s’en était fait le docteur plus encore que le champion, et Charles Ier,