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Mombalère. Ils mirent leur misère en commun. Mon père, bien qu’il approchât de la cinquantaine, était grand, bien fait, d’une figure franche et agréable, d’un caractère plein de courtoisie et de bonne humeur. Rien ne faisait pressentir chez lui l’approche de la vieillesse, qu’il espérait, disait-il, contraindre à la fuite, à force de gaieté. Il s’était d’ailleurs montré chevaleresque dans toute l’étendue du mot avec la douairière et sa fille, et lorsqu’on annonça le mariage du baron de Mombalère avec Mlle  d’Asparens, personne ne fut étonné dans Condom. Malgré la disproportion d’âge qui existait entre les deux époux (ma mère n’avait pas beaucoup plus de vingt ans), ce fut un mariage d’amour. Pour se faire pardonner ses cheveux blancs, mon père redoubla de bonne humeur, d’amabilité, et se mit à faire ressource de tout pour diminuer la gêne de la maison et rendre plus agréable l’existence de sa jeune femme. Il avait toujours eu un grand goût pour le luxe et la dépense. Il aimait ce qu’on est convenu d’appeler les plaisirs, le jeu, les dîners fins, les fêtes. Il se présenta bientôt pour lui une occasion de satisfaire son goût pour toutes ces choses dispendieuses. La douairière d’Asparens mourut, et son fils aîné revint de l’émigration. Celui-ci demanda le partage de la succession, et en présence d’un beau-frère qui n’entendait rien aux affaires, il accomplit ce partage d’une façon tant soit peu léonine. Il garda pour lui les terres, qui ont toujours eu peu d’attraits pour un dissipateur, et donna à ma mère une somme de trois cent mille francs.

Aussitôt que mon père se vit en argent comptant, il ne songea qu’à mener la vie qu’il rêvait depuis longtemps. Il jeta quelques bribes aux créanciers les plus pressans, et employa la plus grande partie du reste à se meubler, à se monter en chevaux, en équipages, à donner des fêtes, à faire des voyages dispendieux. En agissant ainsi, il voulait, disait-il, rendre au nom des Mombalère l’éclat qui lui appartenait. Cet éclat était trop vif pour durer longtemps. Dix ans ne s’étaient pas écoulés, que la meute des créanciers de l’ancien régime s’était grossie d’un renfort considérable de créanciers nouveaux ; ils poursuivirent mon père si vigoureusement qu’il fut obligé d’aller s’enfermer dans les ruines du vieux château. Ma mère, dont la santé avait été toujours chancelante, mourut peu de temps après que nous nous fûmes fixés dans ce triste séjour ; mon père était paralysé : sa langue ne pouvait prononcer que quelques paroles intelligibles seulement pour ceux qui vivaient habituellement avec lui. Je n’étais qu’un enfant, le gouvernement de la maison revint donc nécessairement à ma sœur Zulmé, qui, comme je vous l’ai dit, avait à peine vingt ans.

Cependant, chose étrange, je ne me rappelle pas l’avoir jamais