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où il se trouva un homme, officier ou bourgeois, pour attacher le grelot insurrectionnel. Les généraux dont l’adhésion fut le moins hésitante étaient naturellement ceux qui avaient le plus à se faire pardonner.

Barthélémy, invité à envoyer à son neveu, commandant l’importante place de Saint-Marc, l’ordre de proclamer la république, eut une dernière velléité d’indécision, et voulut faire signer la lettre par son secrétaire ; mais celui-ci tint bon, et Barthélémy s’exécuta. À la réception de cet ordre, le neveu, qui savait que l’oncle n’était pas homme à se compromettre à la légère, et qui avait d’ailleurs lui-même des sympathies plus résolues pour Geffrard, le neveu publia la déchéance de Soulouque aux acclamations unanimes de la garnison et de la population. De même que le chef-lieu avait entraîné l’arrondissement, la ville devait entraîner les campagnes. Le département tout entier de l’Artibonite ne mit à se soulever que le temps que mesuraient de jour le galop des courriers, et de nuit l’éclair des signaux.

Dès qu’elle se vit protégée contre le premier choc de Soulouque par cet épais boulevard d’hommes et de montagnes, l’insurrection latente qui, depuis quatre ou cinq ans, minait le Nord n’hésita plus. Le comité des Gonaïves avait lancé son premier décret le 22 décembre 1858, et le comité du Cap-Haïtien, chef-lieu du Nord, fonctionnait paisiblement dès le 26. C’est sur les troupes de cette partie de l’île que Soulouque avait principalement déchargé sa colère au retour de la dernière expédition de l’est, et il ne restait pas là un seul officier ou soldat à gagner. Toute la besogne révolutionnaire s’y réduisit à l’enlèvement des plaques de shako.

Tandis que le nom de Geffrard était unanimement acclamé dans la moitié septentrionale de l’empire, ce nom expirait subitement sur toutes les lèvres dans l’autre moitié. À la première nouvelle du mouvement des Gonaïves, Soulouque avait affrété un navire américain pour le sud, avec ordre d’en ramener en toute hâte une cargaison de piquets, ce qui, dans le vocabulaire impérial, avait une signification bien connue de la classe de couleur. Comme corollaire et commentaire de cet ordre, des distributions d’argent furent faites aux zinglins de Port-au-Prince, et la sorcière favorite du palais, la vieille Adélina, l’une des reines les plus accréditées du vaudoux, alla, moyennant finance, prêcher la croisade dans les quartiers du Bel-Air et du Morne-à-Tuf. Des instructions analogues étaient parties pour les commandans des principales localités de l’ouest et du sud, dont la plupart s’abouchèrent aussitôt avec les papas-loi des campagnes pour leur renouveler la consigne de 1848. La terreur était au comble. Si visible que fût chez les masses la réaction