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d’enfance, compère Cuachi, et que l’histoire devait appeler Faustin Soulouque.

— Général Soulouque, lui dit M. Dupuy, qui l’avait mandé en sa présence, le gouvernement vous confie un mandat de confiance : vous présiderez le conseil de guerre qui va juger le général Geffrard.

Phôout ! phôout ! s’exclama en reculant Soulouque, consterné à l’idée qu’on allait lui faire commettre un meurtre.

— Eh quoi ! reprit avec une sévérité affectée M. Dupuy, hésiteriez-vous à faire votre devoir ?

— Je condamnerai, dit tristement Soulouque en baissant la tête.

— Vous avez donc des preuves de la culpabilité ?

— Non ; mais puisque « président Riché » a donné l’ordre !

M. Dupuy, effrayé de trouver plus de docilité encore qu’il n’en cherchait, s’empressa d’expliquer à Soulouque que le gouvernement de Riché n’était pas le gouvernement de Pierrot, et qu’accusation n’était pas nécessairement synonyme de condamnation. Il engageait au reste Soulouque à ne rien négliger pour trouver la preuve de la conspiration de Geffrard, attendu, ajoutait négligemment le ministre, qu’on ne pouvait considérer comme preuve le témoignage isolé d’un drôle aussi taré que le dénonciateur. (M. Dupuy savait d’avance qu’il ne s’en élèverait pas d’autre.)

— Mais si je ne trouve pas cette preuve ? objecta timidement Soulouque.

— Alors il faudra nous résigner à acquitter, repartit M. Dupuy.

Geffrard, grâce à cette manœuvre dont j’abrège le récit, fut acquitté à l’unanimité. M. Dupuy prit son courage à deux mains et alla porter la nouvelle au président.

Tonnai crasé moé ! s’écria Riche tremblant de colère, hélez le général Soulouque.

— Votre excellence fait bien de l’appeler, dit froidement M. Dupuy, car vous lui devez des remerciemens, vous lui devez une récompense pour le lustre nouveau qu’il vient de donner à votre pouvoir. L’Europe dira, la postérité répétera : « Le célèbre Riché avait un ennemi personnel qui passa en conseil de guerre, et les juges purent sans danger proclamer l’innocence de l’accusé ! » Si l’abbé Grégoire…

— L’abbé Grégoire !… l’Europe !… murmura en se grattant la tête le président subitement radouci, et sur qui ce dernier mot faisait d’autant plus d’effet que son excellence venait d’acheter un costume écarlate et or de 30,000 francs à la seule fin de mériter l’attention de l’Europe. Puis, interrompant de nouveau le ministre, qui avait repris son thème et qui en était déjà arrivé à M. Isambert : — Vous croyez que l’Europe saura ça ?…